Benoît PRETESEILLE
LES IMPRESSIONS NOUVELLES
28,00 €
Critique parue en juillet 2024 dans Bifrost n° 115
Après un demi-siècle de purgatoire, le « catalogue » BD des éditions Losfeld sort enfin de la clandestinité pour être montré au grand jour !
Déjà, en 2020, les éditions PLG nous avaient gratifiés d’un excellent Sexties – Les Filles du Terrain vague signé Benoît Bonte, que nous vous avions présenté ici-même (cf. Bifrost n° 101). En 2022, c’était au tour des éditions Revival de rééditer le mythique album de Nicolas Devil scénarisé par Jean Rollin, originellement sorti par Losfeld en 1967 et introuvable depuis le début des années 1970 : Saga de Xam, premier chef-d’œuvre de la bande dessinée de science-fiction destinée aux adultes. Cette réédition avait été suivie, début 2023, par un dossier portant sur Devil dans les pages des Cahiers de la BD n° 21 ; un dossier qui proposait, entre autres documents exhumés, la splendide illustration que l’artiste parisien avait réalisée en 1968 pour À la poursuite des Slans d’A. E. Van Vogt dans son édition du Club du Livre d’Anticipation.
Et c’est maintenant au tour de Benoît Preteseille d’apporter sa pierre à cet édifice de réhabilitation, en nous proposant une impressionnante somme de presque trois cents pages, fruit de plusieurs années de travail et adaptée d’une thèse soutenue en 2020.
Il commence par un exercice de recontextualisation en rappelant ce qu’était le milieu français de la bande dessinée au cœur des sixties et en revenant sur l’histoire d’Éric Losfeld, ce Belge, nourri de surréalisme, venu à Paris pour y ouvrir sa librairie et créer sa maison d’édition. Une maison au catalogue nécessairement singulier dans lequel on pouvait trouver, au milieu de textes surréalistes, érotiques, poétiques, fantastiques, noirs, quelques auteurs bien connus à Bifrost : Gérard Klein, Philippe Curval, Alain Dorémieux, Jacques Sternberg ou Charles Duits.
À une époque où les mœurs n’avaient pas encore été libérées et où la bande dessinée s’adressait exclusivement à la jeunesse, il eut l’idée lumineuse d’aller chercher dans les pages du coquin V magazine (piloté par Georges H. Gallet, celui-là même qui avait créé en 1951 la collection de romans SF « Le Rayon fantastique ») la Barbarella de Jean-Claude Forest pour lui offrir l’écrin d’un luxueux album cartonné destiné aux adultes. Malgré le passage de la censure — ou grâce à lui —, celui-ci connut un important succès de librairie, prolongé par l’adaptation cinématographique de Roger Vadim, ce qui incita l’éditeur à poursuivre son expérience en tentant de dénicher d’autres héroïnes futuristes à l’identique pouvoir de séduction sur un public SF alors très majoritairement masculin.
C’est ainsi qu’il proposa, entre 1964 et 1973, pas moins de dix-neuf ouvrages qui ouvrirent la voie à une BD adulte, en conjuguant le plus souvent science-fiction et érotisme. Parurent entre autres, à la suite de Barbarella — et outre la Saga de Xam —, Les Aventures de Jodelle et Pravda la survireuse de Guy Peellaert (avant que ce dernier ne se mette au service de l’industrie du rock : pochettes, affiches, illustrations), Lone Sloane, le mystère des abîmes de l’encore très jeune Philippe Druillet, Valentina de Guido Crepax, Kris Kool de Philippe Caza (qui, dans cet opus psychédélique, a merveilleusement su capter l’air du temps) ou Lolly-Strip du grand Georges Pichard, père de Paulette et de Blanche Épiphanie : il s’agissait à chaque fois d’un premier album publié, ce qui n’est pas rien, historiquement parlant…
Dans la deuxième partie de son livre, Benoît Preteseille consacre un chapitre à chacun des dix-neuf ouvrages. Il évoque aussi leur influence, à travers les œuvres demeurées inédites que divers auteurs — parmi lesquels Alex Varenne et Jean Solé — avaient concoctées pour le Terrain Vague avant sa faillite. Il aurait pu ajouter à la liste un certain Jean-Pierre Andrevon qui, inconnu au cœur des années 1960, demanda audience à Losfeld afin d’obtenir son accord pour réaliser un album à partir de l’un de ses scénarios, avant de se résoudre à utiliser ledit scénario pour un premier roman qui lui porta chance : Les Hommes-machines contre Gandahar.
L’auteur s’est livré ici à une enquête méticuleuse, retrouvant les dessinateurs survivants, leurs ayants droit, les scénaristes, les salariés de l’éditeur. Il les a interviewés, recueillant leurs souvenirs, recoupant les informations, réalisant un vrai travail de mémoire, sérieux et captivant, parfaitement illustré, en direction de qui souhaiterait tout savoir sur les débuts de la BD pour adultes, quelques années avant l’arrivée de L’Écho des savanes, Fluide glacial et Métal Hurlant.
Mission accomplie !