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Les critiques de Bifrost

El Borak - L'Intégrale

Patrice LOUINET, Robert E. HOWARD, Tim BRADSTREET
BRAGELONNE
528pp - 25,00 €

Critique parue en octobre 2016 dans Bifrost n° 84

[Critique commune à El Borak et Agnès la noire]

Si Robert E. Howard est surtout connu pour sa fantasy, on peut néanmoins affirmer qu’il était avant tout un auteur de récits d’aventures. Mais le « weird » avait bien sa part dans nombre de ses publications, et pouvait même transparaître dans des séries ne s’y prêtant pas a priori, au moins comme une tentation. Ce qui se vérifie dans ces deux volumes consacrés aux « récits d’aventures », en principe pas surnaturels, compilant épopées historiques et/ou orientales – dans la foulée du Seigneur de Samarcande.

Francis Xavier Gordon, dit « El Borak », est à la fois un des plus vieux personnages de Howard, à l’en croire (il l’aurait conçu enfant) et un de ses derniers – ses nouvelles datant des dernières années de l’auteur. Texan exilé (volontaire) essentiellement en Afghanistan, éventuellement en Arabie, il est un archétype de l’aventurier occidental en terres sauvages orientales, dans la lignée de personnages tels que Sir Richard Francis Burton ou Lawrence d’Arabie. Parfaitement intégré dans les clans, il tranche radicalement sur les autres Blancs de ses aventures – soit de franches canailles servant l’ambition de puissances étrangères quand ce n’est pas uniquement la leur, soit des « inadaptés » qui ne comprennent pas ce monde et ne sont pas en mesure d’y survivre seuls. Mais le monde de Francis Xavier Gordon est aussi fait de civilisations oubliées ou du moins de cités cachées d’allure mythique…

Comme souvent dans cette collection aux ambitions d’exhaustivité, la lecture suivie des nouvelles d’El Borak a vite quelque chose de répétitif et lassant. Pour autant, au milieu de la médiocrité, surnagent des choses intéressantes : le personnage décalé de l’Anglais perdu Willoughby, dans « Le Faucon des collines », est pour beaucoup dans la réussite de cette nouvelle ; si « La Mort à Triple Lame » s’éternise sans doute, elle réserve quelques beaux moments épiques ; « Le Sang des dieux » fourmille de bonnes idées, au regard du seul impératif de l’efficacité ; même « Les Fils de l’aigle », avec ses facilités, ne manque pas de saveur exotique et de traits réjouissants ; et si « Le Fils du Loup Blanc », ultime nouvelle du héros et une des dernières de Howard, est ratée, sa violence étonnante et sa noirceur ne laissent pas indifférent…

El Borak n’est probablement pas ce que Howard a fait de mieux, mais ce recueil, avec ses défauts habituels, s’élève régulièrement au-dessus de la médiocrité, et peut parfois susciter l’enthousiasme. Pas si mal, donc.

Agnès la noire est hélas beaucoup moins satisfaisant… Ce recueil de « cycles avortés » (des tentatives de personnages récurrents abandonnés après deux ou trois textes) témoigne d’autant d’errances de l’auteur, sans doute pas bien certain de ce qu’il voulait en faire (fantastique ou pas, notamment), et amené par la force des choses à admettre l’impasse et à laisser tomber.

Agnès de Chastillon est un personnage de « femme forte » dans une France de la Renaissance en carton. La violence de la nouvelle inaugurale marque les esprits, et l’emploi par Howard de la première personne en rajoute encore. Mais le personnage souffre vite de nombreuses incohérences et d’une psychologie incompréhensible. Si la nouvelle « Agnès la noire » se laisse lire malgré ses défauts – et sa construction aléatoire, picaresque, d’une certaine manière, évoquant plus une introduction de roman qu’une nouvelle se tenant en elle-même –, les deux fragments qui suivent témoignent d’un échec. La ressemblance d’Agnès avec la Jirel de Joiry de C.L. Moore, créée à la même époque, a peut-être précipité son abandon.

Cormac Mac Art, rusé pirate gaël fricotant avec les Vikings, déjà vu dans Bran Mak Morn, bénéficie d’une nouvelle inaugurale correcte, « Les Épées de la mer Nordique », mais les textes inachevés qui suivent font le même effet, et pour les mêmes raisons, que ceux d’Agnès de Chastillon (en leur étant antérieurs).

Terence Vulmea, pirate irlandais toujours, mais vers les XVIIe ou XVIIIe siècles, est le héros de deux nouvelles, sans doute les plus ambitieuses du recueil : « Les Épées de la Fraternité Rouge », recyclage du Conan « Le Maraudeur noir », est peut-être le texte le plus enthousiasmant, relativement, dans ce recueil globalement décevant – il est très bavard, mais les alliances paranoïaques nouées par ce quatuor de fripouilles (Vulmea inclus) sont réjouissantes. Par contre, « La Vengeance de Vulmea », après un bon départ d’un nihilisme étonnant, se perd quand l’antihéros Vulmea se met à prendre en pitié son adversaire alors même qu’il avait concocté à son encontre une vengeance tordue et d’autant plus réjouissante ; c’est parfaitement incompréhensible, au-delà des bonnes intentions, et la nouvelle ne s’en remet pas.

Quant à Kirby O’Donnell, c’est un ersatz d’El Borak – mais en loser… Sa propension à commettre des gaffes peut pourtant le rendre relativement sympathique (en le singularisant au milieu des brutes howardiennes qui se ressemblent un peu toutes). Mais le résultat est au mieux médiocre… On sauvera éventuellement la deuxième nouvelle, « Les Épées de Shahrazar », relativement efficace (et amusante !) à défaut du reste.

Le recueil comprend aussi trois récits « hors-cycle » (quatre en comprenant celui, inachevé, des appendices, avec ses Vikings qui naviguent au large de l’Inde…), allant du vaguement lisible (« L’Île aux pirates », juvénile et même puéril, souffrant d’une première tentative de « femme forte » parfaitement insupportable de lourdeur) à l’ignoble (« La Morsure de l’ours noir », énième variation sur le péril jaune, d’une fadeur et d’une bêtise incroyables, qui en font probablement une des pires nouvelles de l’auteur), en passant par le simplement mauvais (« Le Paon d’airain »).

Bilan pas glorieux, donc… Agnès la noire ne convainc jamais tout à fait, et fatigue bien trop souvent ; c’est peut-être le plus mauvais recueil de la collection… On lui préfèrera largement El Borak, à s’en tenir à ce registre des récits d’aventures – en sachant toutefois que l’auteur a fait bien mieux, avec ou sans fantasy pour pimenter l’action.

Bertrand BONNET

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