Thierry DI ROLLO
LE BÉLIAL'
330pp - 20,00 €
Critique parue en janvier 2013 dans Bifrost n° 69
En fantasy peut-être plus qu’ailleurs, il est des écrivains comme des lecteurs qui ne conçoivent pas la littérature autrement que par le biais d’interminables séries délayant à l’infini la pauvreté de leur imaginaire et ressassant jusqu’à plus soif les mêmes stéréotypes navrants. Je ne cite personne, les tables des libraires débordent de sagas elfiques à rallonge et de trilogies trollesques en seize volumes.
Quiconque connait un tant soit peu l’œuvre de Thierry Di Rollo sait que cet auteur se situe aux antipodes de telles préoccupations, qu’il ne raisonne qu’en termes d’économie et de nécessité. Et s’il a décidé de nous replonger dans l’univers de Bankgreen, ce n’est pas pour le simple confort que procure le fait de renouer avec des lieux et des personnages désormais familiers, mais parce que tout n’avait pas été dit. D’ailleurs, Elbrön a moins des allures de suite que de coda, et apparait avant tout comme une manière de clore une fois pour toutes le récit précédent. Toutes les tentatives pour relancer cette histoire viennent ainsi se heurter au même mur, celui de l’inexorabilité qui préside aux destinées de Bankgreen et des êtres qui la peuplent.
Plus que jamais, les personnages que l’on croise dans ce roman, brièvement pour la plupart d’entre eux tant leur espérance de vie est courte, sont le jouet de forces qui les dépassent. A commencer par les Shores, autrefois esclaves des Digtères et des Arfans, qui ne se sont affranchis de leur condition que pour se découvrir enchaînés par des entraves bien plus puissantes. Le libre-arbitre ne peut avoir cours sur Bankgreen, chacun est amené à tenir sa place dans l’histoire de ce monde, y compris Mordred, annonciateur de mort et figure emblématique du roman précédent, qui va cette fois renoncer à une part de lui-même pour jouer le rôle qui a été écrit pour lui.
Des figures familières de Bankgreen, on ne retrouve le plus souvent que les échos, les ombres, à l’instar des Elbröns, les fantômes des anciens habitants de ce monde, ressuscités en une parodie de vie et guidés par une irrépressible soif de vengeance. De ces créatures en apparence toutes semblables, presque mécaniques dans leur comportement, Thierry Di Rollo est parvenu à faire un portrait à la fois pathétique et sensible en mettant à jour leur part d’humanité. Et sous sa plume, voir ces êtres au corps cendreux évoluer dans les décors immaculés de Bankgreen sont autant de moments de pure beauté.
Sur la forme, Elbrön offre un récit beaucoup plus linéaire que son prédécesseur, dont les véritables enjeux ne se révélaient que dans les dernières pages et dont les multiples méandres exigeaient du lecteur une attention sans faille. Le cadre s’est lui aussi sensiblement restreint, et l’on regrette parfois la jubilation que pouvait procurer l’exploration minutieuse de ce monde. D’où également cette impression de noirceur accentuée, qu’aucun émerveillement ne vient plus contrebalancer, ou trop rarement. Le romancier s’est recentré sur l’essentiel, l’étude de la condition humaine, dans ce qu’elle a de plus tragique. Le regard qu’il porte sur ses personnages, mélange de cruauté et de compassion, rejoint celui des Runes, ces êtres féériques qui, dans l’ombre, continuent de jouer un rôle crucial dans cette histoire.
Avec Elbrön, Thierry Di Rollo tourne sans doute définitivement la page Bankgreen et lui offre une conclusion à la hauteur de nos attentes. Et malgré la tristesse infinie qui se dégage de ces pages, c’est à regret que l’on quitte ce monde, quand bien même cette fin répond à une nécessité. Car sur Bankgreen, tout a une raison, et prolonger cette histoire davantage n’en aurait sans doute pas.