Un jour, Scott Carey s’est mis à maigrir. Le plus étonnant est qu’il a gardé sa corpulence et sa bedaine, qu’il n’est ni fatigué ni diminué. Ce serait même l’inverse : il ne s’est jamais senti aussi en forme et son optimisme va grandissant. Des excès de nourriture n’inversent pas sa perte quotidienne de poids. Plus étonnant encore : nu ou habillé, et même avec des objets dans les mains, l’aiguille de la balance ne change pas. Comme il ne tient pas à être hospitalisé ni à subir des batteries de tests, il consulte un ami médecin à la retraite qui garantit son silence.
Sa vie est sans nuage : les crottes que déposent sur sa pelouse les deux boxers du couple de voisines lors de leur jogging quotidien sont son seul souci. Il a tenté d’en parler à l’une d’elles, Deirdre McComb, mais est fraîchement accueilli par celle-ci, qui interprète sa démarche comme une déclaration de guerre. Scott en comprend la raison : les lesbiennes, mariées de surcroît, ont déjà subi les vexations de la communauté très conformiste de Castle Rock et le restaurant qu’elles ont ouvert à leur arrivée ne survivra vraisemblablement pas à la fin de la saison touristique. Dès lors, malgré l’hostilité de Deirdre, Scott se donne pour mission de faire cesser les préjugés à l’égard des nouvelles venues.
Les deux intrigues finissent par n’en former qu’une, autour du respect d’autrui, Scott continuant à revendiquer une fin de votre tranquille. Dissimulant habilement les menues invraisemblances de la situation, Stephen King s’attache à suivre les conséquences de la perte de poids au fur et à mesure que Scott se rapproche du zéro. Il le fait avec sa sensibilité particulière et l’attention qu’il accorde à ses personnages.
Aucune explication n’est donnée quant au phénomène, laquelle est superflue. Scott Fitzgerald n’en fournissait non plus à L’Étrange Histoire de Benjamin Button, dont la voie se déroulait à rebours. Comme lui, King inverse la trajectoire de l’existence. Au lieu de finir sous terre, son personnage toujours plus léger, est destiné à disparaître dans le ciel.
Rien de tragique ici : l’optimisme de Scott Carey baigne le récit d’une lumière particulière. En même temps qu’il perd du poids, il apprend à se détacher du monde, ce qui pourrait bien être la leçon de vie de cette émouvante histoire, joyeuse et triste à la fois. S’agissant d’une novella, le livre n’a pas l’envergure des pavés du maître, mais il traite son sujet avec finesse et intelligence. Dédié à Richard Matheson, agrémenté d’illustrations de Mark Edward Geyer, c’est un petit bijou qui élève l’esprit et laisse le cœur léger.