Sabrina CALVO
LA VOLTE
324pp - 18,00 €
Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97
Après Minuscules flocons de neige depuis dix minutes en 2006 et le recueil Nid de coucou en 2007, suit une éclipse d’une demi-douzaine d’années pour Sabrina Calvo. L’autrice revient en 2012 un nouveau roman : Elliot du Néant. Chez un nouvel éditeur, donc, La Volte, structure n’ayant jamais reculé devant les ovnis littéraires. Une riche idée : le promoteur de Barbéri, Beauverger, Damasio et Noon était sûrement la structure idéale pour accueillir Calvo.
Nous voici en Islande, en 1986 – époque lointaine et bénie où l’île ne pleurait pas ses glaciers et où « The Riddle » de Nik Kershaw tournait en boucle sur les ondes radio. À la veille de la kermesse annuelle et d’un concert spécial du chanteur britannique, Bracken, un professeur de dessin français exilé en Islande, est appelé à la petite école de Hafnafjordur : Elliot, le concierge, a disparu. Disparu, certes, mais pas n’importe comment : depuis sa chambre, fermée de l’intérieur. Un drôle de bonhomme, que cet Elliot, sorte d’enfant trop vite monté en graine. Drôle de chambre, aussi, dont l’un des coins possède d’étranges qualités topologiques – cependant, il s’agit moins d’une chambre d’Ames que d’un passage vers le Néant. Justement, le Néant, c’est quoi précisément ? S’élançant sur la piste d’Elliot, Bracken va entreprendre une odyssée folle vers ledit Néant, au risque de s’y perdre. Ou de tout y gagner.
Ici, Sabrina Calvo ne nous convie pas à une sempiternelle histoire de mystère en chambre close, mais plutôt à une quête, aussi personnelle que métaphysique, dont le narrateur sortira métamorphosé. Cette quête se place sous les hauts patronages du singulier sonnet en X de Stéphane Mallarmé et de « The Riddle », étonnante et absurde chanson s’il en est – la légende veut qu’un concours ait été organisé pour trouver un sens aux paroles. Au fil du roman, on croise un corps enseignant dépassé par les événements, un tandem morse et macareux fort bavard vivant au bout du monde, deux tortues incroyables aux savoureux apartés (« Mais que pouvons-nous faire ? – On est des tortues ! On peut tout faire ! »), et l’insaisissable ombre du Maître. Sans oublier un éruptif volcan — lieu où la glace se mêle au feu, l’Islande a tout du creuset d’alchimiste. Quant aux fantômes de l’enfance et les créatures du folklore de l’île, ils ne sont jamais bien loin, rôdant à la périphérie du regard…
Roman tout à la fois triste et tendre, à la folie douce et démiurgique en diable, porté par une écriture poétique et tenu jusqu’à son explosif final, Elliot du Néant est un jalon dans l’œuvre de l’autrice.