D’abord disponible uniquement en version numérique en 2011 chez Walrus, le roman de Jacques Fuentealba, spécialiste de la micronouvelle, connaît désormais une nouvelle vie dans une édition papier (les livres publiés par Céléphaïs n’étant pas ou peu diffusés, on tentera sa chance chez les vendeurs en ligne ou directement sur le site de l’éditeur. [NDRC]) : l’occasion de redécouvrir un texte aussi original qu’attachant, qui, malgré quelques coquilles et maladresses, mérite le détour.
En 1863, Roland Delcroix, seize ans, étudiant prometteur de la parisienne Académie des Beaux-Arsestranges, espère pouvoir un jour capturer sa Muse et conquérir définitivement le cœur de Floriane, une Actrice aux cheveux verts. Malheureusement, on lui vole la première et il semble condamner à perdre la seconde… À lui de reconquérir les deux, entre course-poursuite sur les toits de la capitale, visite à la Cour Chtonienne et révélations de sombres complots !
Nous sommes en plein XIXe siècle et le rythme trépidant du roman populaire — fait de péripéties, coïncidences et rencontres providentielles — est de mise. Loin de chercher des modèles anglo-saxons, à base de vapeur et de corsets, le Paris steampunk de Jacques Fuentealba attire tous les regards. Ce n’est pas un steampunk de science-fiction, mais un steampunk magique, proche de la fantaisie urbaine, où le merveilleux ne ferait pas irruption dans notre monde mais en serait l’âme et le corps. Le tout vient d’une idée aussi simple qu’ingénieuse : la magie existe. Au sens propre, elle est vivante. La Fée verte, l’Inspiration, la Muse sont des métaphores incarnées que certains peuvent apprivoiser. Le danger plane littéralement au-dessus de Paris. La magie devient alors non pas un pouvoir, mais une capacité, faite de l’utilisation de couleurs, de craie et de Talent. Cette magie est l’apanage des Artistes, qu’ils soient Peintres, Acteurs, Sculpteurs ou Musiciens. Et son usage doit être compris et maîtrisé, parce qu’elle peut bien évidemment devenir dangereuse dans de mauvaises mains. Ajoutez à l’ensemble diverses créatures, allant du golem au vampire, et vous obtenez un Paris alternatif assez plaisant à visiter.
Le principal défaut que l’on pourrait trouver au roman est celui commun à ces textes qui reposent sur un univers aussi fort qu’original. Le lecteur s’y plaît, est tour à tour fasciné, intrigué et amusé, mais se tient toujours un peu en retrait par rapport aux personnages. Les malheurs d’Emile semblent ainsi moins intéressants que la description des cours sur la Mort dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne (avec un lointain écho de la vie à Poudlard), ou la description onirique d’une représentation au Théâtre de l’Odéon… c’est peut-être pour cela que l’auteur retarde le démarrage de l’intrigue, laissant à son Paris uchronique tout l’espace nécessaire pour se déployer, autant dans sa vie nocturne que dans les sombres et inquiétants labyrinthes tapis sous le cimetière du Père-Lachaise. Retard largement compensé par la suite, avec une action qui ne cesse quasiment plus une fois le décor planté.