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Les critiques de Bifrost

Emporium

Adam JOHNSON
DENOËL
368pp - 22,00 €

Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38

Proposé dans la (très bonne) collection Denoël « & d'ailleurs », Emporium fait partie de ces textes qui donnent foi en l'avenir. Parfaitement inconnu en France, Adam Johnson y fait preuve d'un grand talent, tout en s'offrant le luxe de développer une petite musique très personnelle, qui hante longtemps le lecteur.

Ni S-F, ni fantastique (si l'on excepte « Le Canadanaute », burlesque et radicale relecture de la course à la Lune, vue du côté canadien), les nouvelles de Jonhson s'inscrivent bien plus dans la tradition de la petite touche que du panorama général. Improbable rencontre entre Palahniuk, Buten et Bradford (lui aussi édité en Denoël « & d'ailleurs » avec l'excellent Le Chien de ma chienne), les nouvelles d'Emporium s'intéressent d'abord aux humains, avant de dériver vers un contexte socio-économique plutôt délicat. Grands brûlés de l'existence, les personnages sont généralement seuls, perdus dans un monde incompréhensible, mais (et c'est là que la tendresse de l'auteur est la plus visible) terriblement à l'écoute des autres et de leurs douleurs. On ne résumera évidemment pas tout ici, mais on pointera deux textes qui sortent du lot, par leur étonnante pudeur, paradoxalement mêlée de froides descriptions cliniques. Ainsi, « Le Satellite Cassini, messager de la mort » met en scène une virée de cancéreuses en lutte contre la maladie, sous l'œil mi-goguenard, mi-naïf d'un adolescent récemment amputé de sa mère. En quête de chaleur et de vie dans un monde qui en est si dépourvu, les presque mortes en sortent pourtant bien plus humaines que les vivantes. L'ensemble sous une voûte étoilée qui nous rappelle que l'éternité n'est jamais vraiment loin.

Ailleurs, « Le Huitième océan » raconte la dérive d'un gamin déjà adulte tiraillé entre un père absent (mais somme toute terriblement présent), des amours anecdotiques et une empathie maladive pour les autres. Très sombre, dramatique et pourtant curieusement optimiste, ce texte est une petite merveille.

Centré sur le passage à l'âge adulte et aux vagues à l'âme qui en découlent, Emporium nous fait visiter intelligemment le paysage mental de ses personnages, avec une rare acuité. Touchant, nostalgique et triste sans jamais tomber dans le ridicule ou l'auto-apitoiement, le recueil possède une voix d'une étonnante justesse. Un vrai plaisir de lecture et une vraie découverte, en attendant la publication en « Lunes d'encre » du premier roman de Jonhson, Des Parasites comme nous. À suivre, donc.

Patrick IMBERT

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