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Les critiques de Bifrost

En quête d'éternité

Greg BEAR
POCKET
512pp - 9,50 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Paru en 2002 aux États-Unis, En quête d’éternité est une déclinaison du motif conspi- rationniste alors fort en vogue dans l’Imaginaire. La série télévisée X-Files vivait certes ses derniers moments tandis que débutait le XXIe siècle, mais son empreinte sur les littératures chères à Bifrost n’en demeurait pas moins vive. En témoignent, entre autres, le thriller techno-paranoïaque d’Ayerdhal Transparences (cf. Bifrost n°118) paru en 2004, quasi-contemporain d’En quête d’éternité. Un roman qui agrège, comme celui d’Ayerdhal, spéculation science-fictionnelle et relecture complotiste de l’âge des extrêmes, selon la formule fameuse de l’historien Eric Hobsbawm quant au XXe siècle.

En quête d’éternité ne plonge en effet pas seulement lecteurs et lectrices dans les abysses du Pacifique à l’occasion d’une singulière exploration scientifique, mais aussi dans ceux, idéologiques, du totalitarisme stalinien. Et en guise d’inattendu point commun entre les très grandes profondeurs océanes et celles pareillement vertigineuses de l’URSS, Greg Bear fait appel à la forme la plus microscopiquement élémentaire du vivant…

Ce sont en effet des bactéries sous-marines que Hal Cousins (protagoniste du roman et par ailleurs plus que brillant biologiste) va débusquer en sous-marin à l’orée du roman, financé par un magnat de l’informatique des années 2000. Préfigurant nos contemporains et transhumanistes milliardaires du numérique, le richissime entrepreneur s’est laissé convaincre par Hal que des êtres unicellulaires extrêmophiles ont percé le secret de l’immortalité à laquelle il aspire. Cette séquence en submersible ouvrant En quête d’éternité donne lieu à un dense enchaînement d’évocations savantes quant à la faune abyssale et ses bactéries, semblant d’abord inscrire le roman dans le registre d’une hard-SF exigeante.

Trop, même, du moins pour celles et ceux qui (tel l’auteur du présent article) apprécient plus les plaisirs de la fiction que ceux du récit documentaire… Mais la sanglante issue de la mission exploratoire fait bientôt basculer En quête d’éternité dans un champ littéraire a priori plus au goût des amateurs et amatrices de narration. Ayant survécu à l’accès de démence homicide s’étant emparé du pilote de son sous-marin, Hal parvient à regagner la surface pour y découvrir que pareille folie assassine a frappé une partie de son équipe de scientifiques. Se muant en une manière de détective, le biologiste va s’engager dans une enquête dévoilant peu à peu une conspiration trouvant son origine dans la Sibérie du mitan des années 1930, dans laquelle les bactéries jouent quelque rôle. Trop, serait-on même tenté d’à nouveau écrire…

Car les pauses didactiques répétées que leur consacre Greg Bear empêchent son imaginaire complotiste d’une inventivité pourtant certaine de se muer en un récit réellement prenant. Et l’humour désabusé dont fait parfois montre l’auteur, ou bien encore son indéniable capacité d’évocation source de quelques visions saisissantes (parmi lesquelles celles à la Jérôme Bosch de « la Cité des Mères-Chiennes »…) ne suffisent pas à sauver En quête d’éternité de la sclérose narrative.

 

Pierre CHARREL

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