[Critique portant sur les deux tomes du roman.]
Dans un lointain futur… Depuis des temps immémoriaux, deux civilisations interstellaires s’affrontent, jusqu’à ne plus connaître que la guerre et des traités de paix sans cesse brisés. D’un côté, il y a le Domaine de Braxi, dirigé d’une main de fer par les Braxaná, une caste féroce qui voit en la guerre l’aboutissement de la vie et qui a élevé le meurtre au rang d’art —machiavélique, si possible. D’un autre côté se dresse l’Empire stellaire d’Azéa, une civilisation eugéniste quoique basée sur une idée d’égalité, et dont le maître atout est le développement de la télépathie au sein d’une frange de sa population.
Zatar, un jeune Braxaná ambitieux, a assassiné d’une manière particulièrement atroce deux dignitaires azéens sous les yeux d’Anzha, leur fille qui ne s’en remettra pas. Télépathe au talent exceptionnel, Anzha est néanmoins une paria au sein de l’Empire du fait de son génome imparfait. Cela ne l’empêche pas d’obtenir le commandement de la flotte azéenne, tandis que Zatar étend son influence au sein de l’oligarchie braxaná. L’un et l’autre s’admirent autant qu’ils se haïssent, et ils n’auront de cesse de s’affronter afin de mettre un terme — définitif ? — au conflit éternel.
Si l’intrigue d’Enfants de la conquête semble tenir sur un timbre-poste — une simple histoire de haine à travers la Galaxie —, ce roman s’avère bien plus que cela, notamment parce qu’il fait fi de tout manichéisme. Ici, pas de méchants Braxaná contre de gentils Azéens, mais deux peuples avec leur raison d’être, engoncés dans une lo-gique guerrière dont il leur est impossible de se défaire, des peuples incarnés par deux héros, purs produits des sociétés où ils sont nés mais qui transcendent leur condition.
Présenté de manière chorale, Enfants de la conquête offre une voix à tous, du plus humble au plus important : on croise ainsi un télépathe azéen qui passe à l’ennemi, une poétesse braxin en délicatesse avec la société macho qui l’entoure, un guerrier sanguinaire intransigeant. Zatar et Anzha, les deux protagonistes antagonistes, sont loin d’être au premier plan au début du récit. De fait, chaque chapitre est une unité quasi-autonome, servi par une forme qui lui est propre (on a parfois des lettres, des retranscriptions d’entretien, etc.), et on pourra regretter que cette présentation éclatée, diversifiée, de l’histoire, s’estompe partiellement dans sa deuxième moitié.
Ce qui n’empêche par les deux tomes du roman de constituer un excellent moment de lecture (à 36 euros tout de même…). S’il faut chercher un précédent à Enfants de la conquête, on pourra évoquer le cycle de l’Ekumen d’Ursula Le Guin, moins pour la richesse de l’univers, davantage esquissé qu’approfondi en détail (mais un glossaire à la fin du tome 2 y pourvoit), que pour la justesse de ses personnages déchirés. Cela, ajouté à l’écriture délicate, au ton poignant et à la construction élaboré, transmue ce qui pourrait n’être qu’un banal space opera, lu des centaines de fois, en un opéra de l’espace tout à la fois spectaculaire et intime, brutal et précieux.
En bref, ce roman s’avère une véritable réussite, et on peut s’étonner qu’il ait fallu si longtemps pour le lire en français — la VO étant parue en 1986 aux USA. Enfants de la conquête a depuis connu une suite, The Wildling, publiée en 2004. Espérons cette fois qu’il ne faudra pas patienter un nouveau quart de siècle.