Enig Marcheur, 12 ans, vit dans une Angle-terre post-cataclysmique (plus précisément, dans la région de Canterbury, ce qui n’est pas un hasard). Il est à la poursuite de la Vrérité, une sacrée quête du Graal dans un monde où tout ou presque est source de danger.
Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de lire du Mad Max. Dans sa remarquable préface, Will Self prévient le lecteur potentiel : « C’est un livre grandiose, un livre exigeant, un livre déstabilisant. » Eloge dont on retiendra surtout le mot « exigeant », même s’il est vrai qu’il y a des moments grandioses et des moments particulièrement déstabilisants qui mobiliseront tous vos neurones alors passés en mode « traduction du parlénigm ».
Pièce à conviction n°1 (la Défense ne présentera pas d’autres pièces, jugeant celle-là plus qu’éloquente) :
« Ils déclenchèr le Grand Boum et zoumm parut un grand éclair de lumyèr plus grand que le mond en tié et la nuyt de vint le jour. En suite tout deuv nu noir. Rien que la nuyt des années durant. Des pidémies oxir les gens et les nanimaux et rien poussa plus dans le sol. L’homme et la femme famés dans le noir cherchant le chien à manger et le chien cherchant à les manger tout comme. Final ment la nuyt et le jour revinr mais jamais vrai ment. Une nuyt verreuse en gendra un jour verreux et la maladie dans laideux. » Page 25.
A la lecture de cet extrait (qui est un des plus limpides du roman, si si), le lecteur motivé a compris la tâche qui l’attend. Enig Marcheur se mérite vraiment : ça pourrait être une fille trop belle aux exigences insensées, au caractère de cochon, frigide pour tout arranger, mais il n’en est rien, Enig Marcheur est comme un whisky d’exception, on en savoure un minuscule verre chaque soir pendant une vingtaine de jours, on suit chapitre par chapitre (il y en a dix-huit) l’odyssée de cet enfant de douze ans. Jusqu’à la Vrérité (qu’on connaît depuis longtemps), mais ce n’est pas le but qui conte (et compte ?), mais le voyage. Quant aux plus malades, ils se pencheront d’abord sur la légende de Saint Eustache, puis liront Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, afin de pouvoir jouer en connaissance de cause avec l’écheveau tissé par Russell Hoban.
On louera en guise de conclusion le travail de traduction réalisé par Nicolas Richard, hallucinant, courageux et digne de deux ou trois Grand Prix de l’Imaginaire ; il y a un peu de perte (les sonorités de l’anglais permettent des choses impossibles à reproduire en français ; il a fallu « adapter » comme dans toute bonne traduction), mais c’est vraiment bien fait. Ah, j’oubliais, Enig Marcheur est un livre de fou, il se lit donc à voix haute (de toute façon, aucun regret à ce sujet, vous ne pourrez pas le lire dans le métro ou tout autre « transporc an com1 »).