Entends la nuit marque en 2018 le retour de Catherine Dufour à la fiction longue, puisque neuf ans se sont écoulés depuis Outrage et rébellion. Il s’agit également de la première véritable incursion de l’autrice dans le fantastique, si l’on excepte le court Délires d’Orphée écrit dans le cadre de la série partagée Club Van Helsing.
Myriame rentre des Pays-Bas pour passer un entretien d’embauche à la Zuidertoren, pour un poste de chargée de veille d’information ; il semble malgré tout qu’il existe une autre raison à son retour, raison qu’elle ne souhaite pas dévoiler et qui aura son importance dans l’intrigue plus tard dans le livre. Elle retrouve à Paris sa mère, en rémission d’un cancer, avec qui elle entretient des relations compliquées. Ayant donné satisfaction lors de son entretien, elle est embauchée. Ses premiers pas dans l’entreprise la chagrinent et la déstabilisent néanmoins : elle hérite d’un bureau froid aux murs suintants, on n’y parle pas d’employés mais de « partners », lesquels sont fliqués par une application, PrettyFace, qui capte le moindre de vos mouvements mais qui vous permet de voir également à quoi vos collègues occupent leur temps. C’est du reste par ce biais qu’elle fait la connaissance de Duncan Vane, qui travaille en Écosse, et dont elle apprend peu à peu qu’il n’est pas un simple employé, notamment lorsqu’il lui envoie un message pour la prévenir quelques secondes auparavant que la foudre va frapper le bâtiment dans lequel est situé son bureau. Et ce qui devait arriver arrive : elle tombe progressivement sous le charme mystérieux de Duncan…
De l’aveu même de Dufour, ce roman se veut un anti-Twilight, soit l’antithèse de ce fleuron d’une certaine littérature ultra-codifiée pour adolescents ; l’autrice en adopte donc beaucoup des passages obligés : une jeune femme au mal-être patent qui tombe sous le charme d’un homme mystérieux, une relation compliquée par de perpétuelles oscillations entre attirance et répulsion, une pincée d’érotisme gothique, l’appartenance à une communauté… Mais Dufour y injecte son humour habituel, mélange de dialogues enlevés, de situations cocasses et de descriptions ironiques, toute la distance dont on la sait capable, en somme. Loin du sérieux habituel de Twilight et de ses clones de littérature young adult, on rit souvent ici, mais il ne faudrait pas croire que ce livre n’est qu’un simple pastiche, car il contient au cœur un motif fantastique d’une réelle originalité, à savoir les lémures, personnifications inquiétantes et omnipotentes des bâtiments (d’où le jeu de mots « lémures / les murs ») ; je n’ai pas de souvenir que ce thème ait jamais été abordé ailleurs, mais il a des saveurs de fantastique classique. La patte de l’autrice se reconnaît aussi dans ses préoccupations sociales, qui correspondent à la vie au sein de la Zuidertoren : Myriame doit naviguer entre alliances et personnes plus ou moins recommandables, ce qui concourt à son apprentissage de la vie professionnelle, de ses vices et ses vertus… On le voit, ce roman multiplie les niveaux de lecture, avec pour irriguer le tout une très belle déclaration d’amour à la capitale, dont les différents monuments et quartiers sont explorés avec gourmandise (mention spéciale à la Tour Saint-Jacques). Catherine Dufour s’y révèle aussi à l’aise que dans la fantasy et la science-fiction.
Entends la nuit a obtenu un très mérité prix Masterton en 2019.