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Les critiques de Bifrost

Critique parue en mai 1998 dans Bifrost n° 8

Jean, de retour d'Afrique, se voit plus que froidement accueilli par sa famille. Il faut dire qu'il a ramené dans ses bagages une femme qui n'a pas la bonne couleur : elle est noire ! Evidemment, avoir une compagne noire dans les années cinquante, c'est plutôt mal vu (déjà que dans les années quatre-vingt-dix…). Commence alors pour la jeune Astrid une vie semi-recluse dans une maison isolée au milieu des Ardennes, soumise aux quolibets et aux insultes racistes lors de ses rares visites en ville. Bon, c'est très triste, c'est sûr, mais qu'est-ce que tout cela vient faire ici, me direz-vous ? Et bien voilà : bien des années après, Jean meurt et se réveille dans le corps… d'un chien.

On aboutit donc à cette étrange situation où Jean, répondant maintenant au sympathique patronyme de « Fidèle », accompagne son ancienne amante et désormais maîtresse dans un parcours de fin de vie plein d'une nostalgie douloureuse. L'élément croustillant dans cette histoire est qu'en plus de sa personnalité et de ses propres souvenirs, Jean/Fidèle s'est vu attribué les instincts grégaires de son hôte. Cette dualité de personnalité lui ouvre tout un univers de sensations et de situations tout à fait insoupçonnées, tant de lui-même que du lecteur ! En somme, une situation inverse de celle du film Didier qui voit ce cher Chabat passer de l'état animal à celui d'humain — à supposer bien sûr qu'il y ait une différence entre les deux, mais c'est une autre affaire), traitée avec un ton totalement opposé. Car on est loin de s'écrouler de rire dans cette histoire ! Voilà pour le canevas de départ. Pour ce qui est du développement de l'histoire elle-même, Jean va de découverte en désillusion. Dans cette toute nouvelle intimité, les confidences faites par Astrid à son chien ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd. Dans ce huis-clos animalier, on franchit par paliers les marches de ce qui s'apparente à une descente aux enfers vécue au quotidien. Et l'être hybride de découvrir peu à peu avec horreur la véritable nature de ses relations passées avec son amante et tout un pan caché de son ancienne vie, ce dont il se serait bien passé. On en profite d'ailleurs pour aborder au passage ce qui semble être la source de cet étrange transfert mental : une cérémonie de sorcellerie tribale, dont le déroulement a des aspects insoutenables, petit îlot de violence sanglante dans ce cauchemar lent et doux amer.

Une situation intéressante, une vie de tous les jours, gauchie par une vision déviante et servie par un traitement sensible : il n'en faut pas plus pour faire de ce petit livre une lecture fort attachante.

Jean-Félix LYON

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