Classée à la deuxième place des pandémies les plus mortelles ayant frappé l’humanité, juste derrière la grippe espagnole, la Grande peste noire demeure néanmoins pour la postérité le fléau ultime, celui qui, conjugué à la guerre et à la famine, a donné sa substance aux visions apocalyptiques des chantres de la fin du monde. Si son impact sur la démographie et la société européenne fait toujours l’objet d’études historiques, le sujet a également inspiré quelques auteurs de science-fiction. Les noms de Connie Willis (Le Grand Livre) et de Michaël J. Flynn (Eifelheim) viennent immédiatement à l’esprit des connaisseurs. On peut désormais ajouter celui de Christopher Buehlman, même si ce dernier se distingue de ses prédécesseurs en transformant la maladie en signe annonciateur de l’Armageddon.
Adonc, nous sommes en 1348. La Grande Peste noire ravage la Chrétienté, mettant un terme provisoire au conflit engagé entre la Couronne de France et celle d’Angleterre. Dans un royaume français en proie au désespoir, où l’on prie la grâce de Dieu et le pardon de ses péchés, histoire d’échapper au fléau, une petite troupe composée d’un chevalier déchu devenu brigand, d’un prêtre alcoolique et sodomite, et d’une jeune fille parlant aux morts et aux anges, entreprend un long voyage de la Normandie vers Avignon, siège de la papauté. Traversant un pays assiégé par la maladie, abandonné par les seigneurs retranchés derrière leurs murailles, où l’on fait la chasse aux horsains et où l’on brûle les Juifs, parfaits boucs émissaires des malheurs du temps, le groupe affronte également une menace moins terrestre. L’enfer semble en effet avoir lâché ses démons sur Terre. Une multitude de monstruosités dignes de figurer dans les œuvres de Jérôme Bosch ou sur les tympans décrivant le Jugement dernier. Devant ce spectacle de fin du monde, les chrétiens s’interrogent avec angoisse. Qu’attend donc Dieu pour sauver ses créatures ?
Entre ciel et enfer laisse une impression mitigée. Si la dimension historique convainc sans peine – les efforts de l’auteur étant sur ce point méritoires –, on demeure toutefois dubitatif face à l’argument fantastique. Malgré des prémisses engageantes, le roman peine en effet à capter l’intérêt sur le long terme. La faute à une intrigue ne faisant que rejouer des ressorts déjà vu ailleurs, on pense bien entendu ici aux innombrables apocalypses zombies dont l’édition, tous supports confondus, a tiré une rente fructueuse avant d’épuiser le filon. Les scènes horrifiques assez honorables, où se déchaînent les créatures impies issues de la Géhenne, le traitement banal des personnages et les descriptions crues mais sans surprise de l’épidémie ne parviennent hélas pas à redresser la situation. Au fil des pages, le périple de la petite troupe se mue en randonnée plan-plan, jalonnée par des péripéties convenues et les habituelles figures imposées. Bref, ne nous voilons pas la face, on s’ennuie ferme, agacé par les clichés, les transitions eschatologiques un tantinet grandiloquentes et un dénouement bâclé et confus.
Au final, avec ce deuxième roman paru dans l’Hexagone (Ceux de l’autre rive), l’enfer accouche d’un têtard. Et l’on se demande de plus en plus ce que Christopher Buehlman peut nous proposer de vraiment original…