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Les critiques de Bifrost

ENtreFER

Iain M. BANKS
DENOËL
9,75 €

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Passé un prologue qui voit un homme avoir un terrible accident de voiture sur un pont en Écosse, on fait la connaissance de John Orr. Amnésique, celui-ci vit sur un pont, un autre, tellement gigantesque que ses deux extrémités se perdent au loin et que l’on se pose même la question de savoir si la terre se trouve au bout. Une cité entière s’est développée sur l’ouvrage, avec de multiples niveaux, fourmillants de vie, mais aussi labyrinthiques, de telle sorte que l’odyssée d’Orr prend souvent des apparences kafkaïennes. Il est suivi par un docteur, qui essaie de le guérir de son amnésie, au travers de l’analyse de ses rêves. Mais ce que le Dr. Joyce ne sait pas, c’est que la plupart de ceux-ci sont inventés de toutes pièces par Orr, qui semble plutôt se plaire dans cet univers, dût-il mentir à son thérapeute, et ce d’autant plus que la télévision lui renvoie régulièrement l’image d’un homme sévèrement blessé sur son lit d’hôpital. On le comprend progressivement, Orr et l’homme accidenté ne sont qu’un seul et même individu, auquel il faut ajouter une troisième identité, celle d’un barbare qui intervient dans les vrais rêves d’Orr, un barbare de fantasy un peu particulier qui s’exprime en dépit de toute orthographe correcte dans des passages que l’on conseillera de lire à voix haute (procédé que Banks reprendra dans Efroyabl ange1 ; signalons néanmoins que dans la version originale, cette écriture phonétique se pare de l’accent de Glasgow impossible à rendre en français). Dès lors, ces diverses incarnations vont se répondre, dans un jeu d’aller-retour permanent entre les flash-back de la vie réelle avant l’accident, les tentatives d’Orr d’aller voir ce qu’il y a au bout du pont et les tribulations du barbare, dans une construction implacable, cérébrale, voire psychanalytique, qui laisse pourtant la part belle aux péripéties narrées avec un humour permanent. Cela, sans oublier l’histoire d’amour dans laquelle Banks convoque les bas de la belle Abberlaine dont la résille rappelle l’entrelacement des poutres du pont.

Roman déboussolant aux multiples niveaux de lecture, ENtreFER impressionne par sa construction rigoureuse qui confirme que Banks, encore jeune écrivain – il n’avait pas trente ans lors de sa rédaction – sait parfaitement où il veut en venir, livrant une partition où rien n’est gratuit. Pour conclure, on pourra longtemps se demander si ce livre est de la SF, de la fantasy ou ni l’un ni l’autre : c’est bien entendu un peu de tout ça. L’ouvrage marque également un tournant dans la carrière de l’auteur puisque, de son propre aveu, c’est à partir de ce roman qu’il va scinder sa bibliographie en deux, la SF avec le « M » de Iain M. Banks, et le versant plus réaliste de son œuvre sans ledit « M ».

Bruno PARA

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