Connexion

Les critiques de Bifrost

Eriophora

Peter WATTS
LE BÉLIAL'
224pp - 18,90 €

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

L’Eriophora est un vaisseau spatial conçu à partir d’un astéroïde, et qui, de chantier en chantier, construit des portails à travers la Galaxie, afin de faciliter la circulation de l’espèce humaine, et ce même si les habitants du vaisseau ne savent plus si celle-ci existe réellement car le contact avec la Terre est rompu depuis très longtemps. À la tête de l’Eriophora, il y a le Chimp, une IA qui gère la vie à bord, et lance les chantiers. Très développée, ses concepteurs l’ont néanmoins conçue bridée, car il lui faut accomplir la tâche confiée sans jamais dévier de sa mission, ce qu’une évolution non maîtrisée risquerait de mettre en  péril. Aussi est-ce une IA qui, une fois un certain stade de dé­veloppement atteint, a arrêté d’évoluer, de telle sorte que quand surviennent des difficultés dans les travaux qu’elle supervise, et que leur résolution dépend de la capacité à appréhender le problème sous un œil nouveau, cela dépasse ses capacités. Elle a alors recours aux êtres hu­mains endormis au sein de l’Eriophora, qu’elle réveille afin qu’ils amènent ce petit grain de créativité dont elle est dépourvue. Ce qui lui fait également défaut, c’est le sens moral, qui lui ferait con­sidérer les êtres humains comme précieux par-dessus tout ; pour le Chimp, en effet, ceux-ci ne sont que des auxiliaires, des aides, consommables, qu’il ne se privera pas de sacrifier pour le bien suprême de la mission si celle-ci l’exige. Toute dépourvue qu’elle soit de nombreuses caractéristiques qui façonnent habituellement la conscience d’un être, cette IA n’est pour autant pas démunie, car elle dispose toujours de l’omniscience que lui confèrent ses caméras, ses micros, bref, l’ensemble des appareils disséminés sur le vaisseau qui lui permettent de connaître tout ce qu’il s’y passe, rendant quasiment impossible le fait de lui dissimuler quoi que ce soit. C’est pourtant tout l’enjeu de la révolution qui peu à peu se répand parmi la population : si cette IA fait aussi peu de cas de la vie humaine, il con­v­ient de l’arrêter. Mais comment arrêter un être qui, quoi que vous fassiez, le sait dans la seconde qui suit ? Avec ce personnage du Chimp, central dans cette novella, selon l’auteur, ce roman, selon les décomptes officiels, qui con­vo­que également le sense of wonder, l’art de la dissimulation et de l’ellipse, Peter Watts of­fre une vision toute personnelle de l’intelligence artificielle et des enjeux la concernant.

Bruno PARA

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug