La figure du vampire ne cesse de changer selon les époques, preuve s'il en est que sa survie littéraire est assurée par sa capacité à se nourrir de l'âme de chaque société. Ce dévoreur va toujours s'abreuver à la source même de la vie, quelle qu'elle soit ; ses prédations sont donc un bon moyen de reconnaître ce qui fait l'essence d'une époque.
Il est bien loin, le ténébreux séducteur buveur de sang. Aujourd'hui, c'est un jouisseur avide des plaisirs les plus extrêmes. La sève qu'il vole n'est plus forcément rouge. Voilà bien les pages les plus torrides qu'on ait pu écrire sur ce thème ! La sexualité la plus brûlante mais aussi les amours les plus débridées s'y étalent et ce n'est pas sans fascination qu'on découvre les vampires de Robert Devereaux, bêtes de sexe s'abreuvant de leur sang en autarcie.
Certains textes ne manquent pas de poésie ni de finesses d'écriture dans l'évocation des amours débridées avec ces créatures de la nuit, d'autres affichent une brutale crudité qui, dans ses excès même, semble vouloir transcender la réalité. Mais entre le mythe et la réalité, il y a le fossé infranchissable du rêve. C'est le constat que fait le jeune homosexuel prostitué de Berlingue : la déception le pousse à dépecer la vampire qui lui a fait entrevoir l'ineffable la veille et qui ne trouve derrière la chair « que le spectacle banal de la viande qui refroidit ».
C'est cette ambiguïté qui fait la malédiction du vampire ; la fascination qu'il exerce masque la vérité de son état : il n'est que l'expression de la faim, titre d'une nouvelle de Wayne Allen Salle. Cet appétit monstrueux pousse la vampire de « Dans une âme de femme » au suicide en s'exposant à la lumière du jour.
Comme le note Poppy Brite, l'appétit du vampire n'est plus uniquement sanguinaire. Il peut aussi se révéler avide d'émotions (« Géraldine », « Calices vides »). Le vampire de White Chapel élève la cruauté au rang d'un art : à l'instar du colonel d'Apocalypse now, il estime que « la beauté, la sainteté de la vie, ne réside ni dans la joie ni dans le bonheur elle réside dans les souffrances de la chair ».
Les vampires n'apparaissent plus forcément comme des êtres négatifs : mutants ou victimes d'une malédiction, ils se révèlent parfois si humains qu'ils pourraient donner bien des leçons aux vivants.
Poppy Z. Brite, qui s'est imposée, avant trente ans, dans le firmament de la littérature fantastique avec seulement trois romans et un recueil de nouvelles, a révélé ses talents d'anthologiste avec ce recueil de vingt nouvelles qui réunit les grands noms de la littérature fantastique et impose de jeunes espoirs. Cette réédition est probablement le recueil le plus troublant et le plus sulfureux de ces dernières années.