Le titre de l’anthologie composée par Poppy Z. Brite en 1997, Eros Vampire, souligne la volonté de l’anthologiste de présenter autre chose que vingt récits classiques sur les vampires, en l’occurrence : vingt histoires de sexe et de sang. Toutes mettent en scène des vampires, certes, mais on est bien loin du comte Dracula. Naturellement, on y croisera quelques vampires « traditionnels » — ainsi, dans la première nouvelle, signée Norman Partridge, dont le classicisme détonne —, mais au fil des pages on se trouvera confronté à des vampires psychiques, sentimentaux, émotionnels, végétaux…
Dans son introduction, Poppy Z. Brite explique qu’elle a invité ses auteurs à explorer le côté érotique du vampire, espérant en cela pouvoir présenter de nombreuses relectures et facettes du mythe. Comme elle l’indique, le pari est réussi au-delà de ses espérances.
Difficile bien sûr de citer ici les vingt nouvelles, difficile et inutile, en fait, car comme dans toute anthologie, certains récits sortent clairement du lot, se hissant même volontiers au rang de petits chefs-d’œuvre. A commencer par la magnifique nouvelle de Nancy Holder, « Café Endless : pluie de printemps », un récit qui prend le Japon pour cadre et relate l’amour d’un homme envers un vampire rencontré lors d’un acte de Kabuki, le théâtre japonais traditionnel. L’ambiance de ce texte, imprégnée d’érotisme et de tradition nippone, s’avère l’une des plus fortes de cet ouvrage. On retrouve le même dépaysement dans la nouvelle de Douglas Clegg, « White Chapel », se déroulant dans les contrées les plus reculées de l’Inde à la rencontre de divinités ancestrales aux appétits innommables.
Mais ce livre ne se résume pas à une exploration ethnographique des différentes formes de vampires, pour exemple « L’Alchimie de la gorge », de Brian Hodge, et son antique vampire occupé à pervertir les anges qu’il capture tout en se nourrissant du chant d’un jeune castrat à son service… Dans la série des vampires aux appétits originaux, il nous faut aussi évoquer le magnifique texte de Thomas F. Monteleone, « Tríttico di amo-re », et son personnage principal, Lyrica. Cette « femme » qui a été la muse des plus grands au cours de l’histoire (Mozart, Van Gogh), mais qui, en échange de la gloire et de la fortune, a aspiré peu à peu leur vitalité pour en définitive les abandonner, vidés et détruits. On signalera enfin « La Dernière fête d’Abba Adi » de Jessica Amanda Salmonson, sans doute le texte le plus sanglant du volume, mais aussi le plus sophistiqué (tant du point de vue du style et que du thème), l’histoire d’un poète tombé en disgrâce qui décide de tirer sa révérence au cours d’une fête orgiaque au terme de laquelle les notables de la ville pourront assister à son démembrement — une performance réalisée par ses trois femmes…
Avec ses vingt nouvelles, autant de visions originales et sensuelles, Eros Vampire prouve si besoin était combien nombreux sont les visages du vampire. Une réussite incontestable, en somme, à (re)découvrir d’urgence.
[Lire aussi la critique de Claude Ecken dans le Bifrost n°16.]