Jean-Claude DUNYACH, Fabrice COLIN, Sylvie DENIS, Thomas DAY, Francis VALÉRY, Jean-Louis TRUDEL, Sabrina CALVO, Marie-Pierre NAJMAN, Claire BELMAS, Robert BELMAS, Laurent GENEFORT, Yves MEYNARD, Joëlle WINTREBERT, Johan HELIOT
FLEUVE NOIR
625pp -
Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16
C'est derrière une magnifique couverture de Stan & Vince qu'il nous faut chercher ce qui est probablement la plus grosse déception de l'année : Escales 2000, second volet de la série anthologique initiée il y a près de deux ans par Serge Lehman et son très remarquable Escales sur l'horizon. Car tout ou presque irrite dans l'objet, à commencer par le quatrième de couverture. Où 1' on peut lire, je cite : « La nouvelle génération des écrivains francophones de science-fiction s'est réconciliée avec son public. En imaginant un futur aussi rempli d'images choc qu'un film de Besson, les auteurs rassemblés ici montrent qu'ils ont parfaitement assimilé les leçons des grands auteurs américains et qu'ils sont même capables d'aller plus loin dans la démesure. »
Plus débile, tu meurs.
1/ Parce que comparer de la littérature de science-fiction à la Sci-Fi telle que la filme Luc Besson (inventivité proche du zéro absolu, pas la moindre once de réflexion sur notre futur) est un crime.
2/ Parce que si l'on compare Escales 2000 à Starlight 2, la dernière grande anthologie d'inédits anglo-saxons avec au sommaire (entre autres) « Story of your life » de Ted Chiang, « Divided by infinity » de Robert Charles Wilson, « Congenital Agenesis of Gender ideation » de Raphael Carter, « Brown Dust » de Esther M. Friesner, « Mrs Mabb » de Susanna Clarke et « The House of expectations » de Martha Soukup… Escales 2000 reste sur le carreau, ne contenant aucun texte aussi maîtrisé, intéressant et réussi que le moindre de ceux cités plus haut (les textes de Wilson, Chiang et Carter étant parmi les dix meilleures nouvelles publiées en 98 outre-Atlantique).
Ce quatrième de couverture se place tout à fait dans la tendance actuelle où Les Crépusculaires de Gaborit est un best-seller, où Laurent Kloetzer c'est aussi bien qu'Umberto Eco et Arturo Perez-Reverte (il manque Italo Calvino et Borges à la liste), où Le Grand Silence de Silverberg c'est le nouveau Autant en emporte le vent (il manque Guerre et Paix, En attendant Godot et Ulysse pour que tout cela soit exhaustif ; il est probablement méchant d'écrire que Le Grand Silence, tout compte fait, c'est sans doute moins bon que L'Oreille interne, ou Un jeu cruel d'un certain Silverberg… seulement parfois ça fait du bien d'être méchant).
Mais entrons dans les détails, c'est à dire les textes. Après une introduction fort honnête de Jean-Claude Dunyach, Fabrice Colin ouvre le feu avec un texte décousu, illisible tant il est mal écrit, mal construit et ponctué de verbes « être ». À éviter. Suivent les longs textes de Sylvie Denis et Francis Valéry qui sont peut-être intéressants si on arrive à les lire jusqu'au bout. Est perdu au milieu de ces fleuves d'ennui le premier texte méritant un tant soit peu qu'on s'y arrête : « La Mécanique des profondeurs » de Thomas Day. Comme dans « La Mère des colères » (in Bifrost 08), le narrateur est ici une narratrice, une mutante, une femme-poisson payée pour « nettoyer » les bas-fonds d'un Amsterdam futur noyé sous les eaux, une héroïne poursuivie par la figure mythique d'un père serial-killer qu'elle n'a pas connu. Un texte riche de sève auquel on reprochera toutefois une fin bâclée manquant d'ampleur. Jusqu'ici, pourtant, sans doute aucun le meilleur texte de l'antho.
Et nous voilà page 253 (sur 630) pour débuter la nouvelle de Jean-Louis Trudel qui, comme on le craint toujours chez cet auteur, est un article de hard science mal déguisé en récit d'aventures. Le bonheur sera de courte durée et il est dû à David Calvo : Frank Sinatra défiguré dans un attentat se rend sur la face caché de la Lune pour y retrouver le meilleur des chirurgiens esthétiques. Calvo est fou et ça c'est diablement jouissif !
Ensuite Marie-Pierre Najman nous livre « Les Points de vue d'Europe » : on dirait une mauvaise nouvelle d'Eric Brown. Une réflexion sur l'art dans le cadre de la science-fiction qui n'a pas la puissance des textes du même genre signés par Joe Haldeman ces dernières années (on citera juste For White Hill). On ne s'étendra guère sur « Les Clans du delta » de Claire et Robert Belmas qui, comme toujours chez ces auteurs, est un récit médiocre où brillent quelques idées intéressantes. Ni sur « T'ien-Keou » de Laurent Genefort, ambitieux, certes, mais non abouti. Comme dans Escales sur l'horizon, Yves Meynard se distingue avec ses « Soldats de sucre », récit surprenant, excellent. « La lecture des nouvelles » de Joëlle Wintrebert et Johan Heliot ne rachète malheureusement pas l'ensemble alors que, cerise sur le gâteau, la conclusion « À vos plumes » permet à l'anthologie de virer au grotesque : c'est sans doute la meilleure nouvelle du lot et il est regrettable que Jean-Claude Dunyach ait oublié de la signer. À la décharge de ce dernier, j'affirmerai néanmoins que c'est aux auteurs de se défoncer (ce que, dans l'ensemble ils n'ont pas fait) et non à l'anthologiste de limiter les dégâts : un chef d'orchestre est impuissant si tous ses solistes jouent faux.
Cette anthologie a au moins un mérite, celui de prouver combien l'anthologie Futurs Antérieurs de Daniel Riche était réussie.
Enfin, pour conclure, ne soyez pas si tristes : après tout les meilleures nouvelles de Starlight 2 seront probablement traduites un jour. Un jour…