Sylvie DENIS, Jean-Jacques NGUYEN, Jacques BARBÉRI, Jean-Louis TRUDEL, Fabrice COLIN, Laurent GENEFORT, Marc SARRAZY, Sylvie LAINÉ, Guillaume THIBERGE, Thomas DAY, Dominique WARFA, Johan HELIOT, Jean-Jacques GIRARDOT, Nathalie MÈGE, Marie-Pierre NAJM
FLEUVE NOIR
670pp - 15,09 €
Le Fleuve Noir doit trouver une jouissance toute particulière, voire nécessaire, à foutre en l'air le travail du fils indigne, Serge Lehman, parti vers d'autres horizons… Sinon comment expliquer le changement de maquette sur Escales 2001, qui tient à la foi du ratage intégral et du vrai progrès à l'envers. Tout est moche, les polices utilisées, le dessin de Stan & Vince, bien loin du space art tant apprécié des lecteurs. Même le prix, exagéré, 99 francs, devient un frein à l'achat. On préférerait nettement se passer des deux ou trois plus mauvaises nouvelles de l'antho pour gagner vingt francs. Mais voyons le contenu, sans doute plus important que le contenant…
On passera sans mal l'intro de Sylvie Denis, qui, malgré quelques idées remarquables, échoue à nous proposer un raisonnement cohérent. C'est avec Jean-Jacques Nguyen que commence réellement l'anthologie. Sa nouvelle, « La Méridienne des songes », oscille entre l'hommage à Planète interdite et la description d'une société extraterrestre digne de Robert Silverberg — une réussite pour un auteur qui se fait discret et dont les dernières apparitions n'avaient pas convaincu. La nouvelle suivante, du trop rare Jacques Barbéri, est à première vue idiote, marrante mais sans grand intérêt, néanmoins on s'en souvient encore et encore bien après l'avoir lue. Et c'est à Jean-Louis Trudel de livrer le premier texte pénible de cette anthologie ; cette histoire de VIe République française n'est guère passionnante, échouant à nous distraire ou à nous faire réfléchir. Le texte de Fabrice Colin, « Un Jour dans la vie d'Angelina Westwood », est lui très agréable, amusant et intéressant. Reste le problème de la télé, que la narratrice dit ne pas avoir et qu'elle regarde à la toute fin du texte, mais est-ce un problème de narration une fois que l'on sait qui est réellement cette narratrice ? Difficile à dire. Le chef-d'oeuvre n'était pas loin, il suffisait de quelques recherches plus poussées sur les dinosaures et les séances psy, une écriture un peu plus serrée, une fin plus maîtrisée Je ne me souviens pas avoir apprécié la moindre nouvelle de Laurent Genefort, alors que plusieurs de ses romans m'ont plu (Les Chasseurs de sève, L'Opéra de l'espace)… Pourtant, force est d'avouer qu'ici l'auteur m'a bluffé : La Bonne cause ressemble énormément à une nouvelle de Greg Egan — « Comme Paille au vent », in Notre-Dame de Tchernobyl, DLM — mais en plus lisible, avec davantage d'action. Un très bon texte qui allie biologie de haut-niveau et space opera. Chapeau monsieur Genefort ! On concédera sans mal que les deux textes qui suivent échouent a tenir la comparaison, Marc Sarrazy a de bonnes idées, mais écrit comme un cancre, Sylvie Lamé écrit mieux mais n'a rien à dire d'intéressant, du moins en ces pages… Et c'est à Guillaume Thiberge de nous pondre encore un de ces textes formidables dont il a le secret (messieurs les éditeurs : un recueil SVP !), bataille de tracteurs sur le Larzac et tutti quanti ; on regrette que les folios des pages ne soient pas en patchouli à gratter et le joint d'herbe-qui-fait-rire non fourni avec l'ouvrage. Vient Thomas Day avec un texte court, format auquel il ne nous a guère habitué ces derniers temps. L'histoire de deux personnages brisés par l'épreuve de la maladie, d'une cryogénisation puis du retour a la vie, une épreuve qui en fait non seulement des monstres mais aussi la propriété de l'entreprise-Etat qui les a soigné… Un texte sans intrigue réelle mais d'une belle dimension psychologie et morale avec, en prime, une réflexion sur l'art et la créativité. Difficile de finir la nouvelle de Dominique Warfa, écrite, surécrite, donc mal écrite, et qui ne raconte vraiment pas grand chose. Un texte aussi inutile que celui de Trudel, mais qui trouvera ses fans, comme tous les textes de cet auteur. Le texte de Johan Heliot, bien que réservant de très belles idées, de beaux passages, nous laisse sur notre faim, dommage. Les textes de Jean-Jacques Girardot et de Nathalie Mège n'intéressent guère, sans doute du fait de leur côté politique peu convaincant II faut remarquer qu'une fois encore, Jean-Jacques Girardot échoue à pondre une grande œuvre « à la Greg Egan » — son idole Et c'est au tour de Marie-Pierre Najman de livrer un des bons textes de cette anthologie : Surf temporel, sans doute moins ambitieux que Un Monde qui nous parle (in Privés de futur) mais réservant une belle réflexion sur ce que sous-entendent les récits de voyage dans le temps. Il est à la fois plaisant et dommage que la technique de voyage temporel employée, décrite, semble d'un point de vue esthétique tout droit sortie du film de Terry Gilliam, L'Armée des douze singes. Autre regret, le changement de point de vue final qui, en nous éloignant du narrateur, affaiblit le message de la nouvelle. Ambiance trash et lourde pour le texte suivant, « La Cinquième tribu », signé Francis Valéry. L'écriture façon néo-polar, parfois insupportable, contraste avec le sujet, plus poétique — le tout est étonnant et ne laissera pas indifférent, loin de là. Le récit de Markus Leicht, « Le Tueur de cerfs-volants », est d'un manque de crédibilité à faire passer Serge Brussolo pour René Descartes ; entre autres on ne voit guère comment des milliers de cerfs-volants commercialisés à partir du trou du cul du Massassuchets peuvent arrêter tout conflit sur Terre pendant douze mois Dommage, car le texte est bien écrit et possède un réel potentiel. Celui de Roland C. Wagner, fort long, se rattache a son roman Toons et fait suite à « Honoré a disparu » in Histoires de cochons et de science-fiction. Dire que l'on s'ennuie ferme à la lecture est exagéré, mais ce n'est pas non plus la frénésie. Un texte sympa pour gens sympas et lecteurs émérites des Futurs mystères de Paris, texte qui, une fois de plus, donne l'impression que Roland C. Wagner tourne en rond dans cette série qui ne décolle guère et dont le meilleur opus reste encore et toujours L'Odyssée de l'espèce. Avatar, tel est le titre du récit de Joëlle Wintrebert, où l'on retrouve ses obsessions habituelles — à noter que l'écriture du premier paragraphe frise l'autoparodie. Reste le sujet de cette nouvelle, intéressant : on prête son corps à d'autres pour de l'argent, une fusion temporaire qui peut mal tourner… L'univers mis en place en quelques pages est tellement séduisant qu'on aimerait le voir développé en roman. Quant au dernier texte, celui de Claude Ecken, cette histoire d'enfant qui pose des questions qui n'ont pas de sens… il convient d'en laisser toute la surprise.
Pour conclure, une anthologie où cohabitent dix-neuf textes d'auteurs aussi différents pousse le critique à avoir ses préférés et ses bêtes noires. Malgré ces dernières, Escales 2001 réserve tant de plaisir que l'on peut affirmer que Sylvie Denis a réussi son pari livrer une excellente anthologie que clôt un chef-d'œuvre incontestable, le texte de Claude Ecken. Voilà la meilleure antho publiée au Fleuve Noir depuis bien longtemps, un cadeau de Noël parfait pour faire découvrir la science-fiction de langue française