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Les critiques de Bifrost

Escales dans les étoiles

Jack VANCE
POCKET

Critique parue en mars 1999 dans Bifrost n° 12

Avec 46 livres recensés, Jack Vance fait partie des romanciers étrangers systématiquement traduits en France, à l'instar des Dick, Zelazny, Moorcock ou Herbert. Être publié chez Pocket (33 bouquins sur les 46) est le signe d'un succès qui ne se dément pas auprès du public, et ce même si la critique reste fort discrète à rencontre de notre auteur. Naguère, Vance s'était prononcé en faveur de l'engagement des troupes US au Viêt-Nam, ce qui lui a naturellement valu l'étiquette de « réactionnaire ». En France, la critique s'est arrêtée à cette considération, un fait dont le lecteur qui trouve ses livres sur les rayonnages de son hypermarché n'a cure.

Quant à moi, j'entretiens avec Jack Vance un rapport tout particulier. Il est le premier auteur anglo-saxon qu'il m'ait été donné de découvrir avec son célèbre cycle de Tschaï (J'ai Lu) et je ne l'ai plus lu depuis... 1984 ! Devenu critique entre temps, il était fatal qu'un jour ou l'autre je fourre mon grand nez entre ses pages à la recherche d'anciennes sensations...

En vain. La verve picaresque, véritable marque de la « fabrique » Vance, est toujours bien là, la magie du verbe étincelle comme aux plus beaux jours. Mais ce n'est plus qu'une mue chatoyante. La vigueur de l'intrigue n'est plus ; enfuie au loin. Ne reste plus qu'une peau de mots sans corps à envelopper, un spectre de roman. La linéarité, si typique de l'écriture du maître, avait alors un but — quitter Tschaï, se venger des Princes-Démons, etc. — et franchissait l'infranchissable pour l'atteindre. C'en est ici bien fini de l'héroïque volontarisme d'un Adam Reith.

Myron Tany lui, vagabonde de monde en monde poussé par une légère brise de vie. Ses aventures relèvent tout au plus de l'anecdote charmante ; sa vie s'écoule paisiblement à travers la morne plaine que semble devenue l'Aire Gaïane. Après s'être embarqué à bord du somptueux yacht spatial de sa vieille garce de tante, Dame Hester Lajoie, qui s'est lancée dans la quête d'une cure de jouvence comme toute vieille peau qui imagine se respecter, ce fils à papa est bientôt débarqué au profit de plus malin que lui. Qu'à cela ne tienne, le voilà engagé sur le Glicca, un caboteur peuplé d'intellos aventuriers. Il vient compléter un équipage formé de Wingo, cuisinier-photographe animé d'un brin de mysticisme à la petite semaine, de Schwartzendale, ingénieur machiniste au talent de joueur professionnel plus qu'affirmé, et du commandant Maloof qui n'a rien à leur envier. Un groupe de « pigeons » pèlerins destinés a se faire plumer par Schwartzendale servira de passagers, tandis que sur Frametta un dénommé Moncrief, qui doit une revanche au même Schwartzendale, les rejoindra avec sa troupe de femmes de cirque. Le fin mot de l'histoire étant de se faire régler leurs dettes de jeu. La belle affaire !

Ils font des rencontres plus ou moins sympathiques ou charmantes et, parfois, leurs vies sont en danger. D'une ambiance générale drôle et chaleureuse, on passe alors soudain à de cyniques séquences où peu de cas est fait de la vie humaine, à tel point qu'on a le sentiment que ces passages n'appartiennent pas au même livre !

Au fil des pages, on ne peut que constater combien la prose, au demeurant savoureuse de Jack Vance, est impuissante à empêcher de sourdre l'ennui tant l'intrigue resplendit d'absence. Il faudrait bien autre chose que ces rencontres dont la fortuite n'égale que le banal, que ces anecdotes enfilées comme des perles fades sur un crin, mieux qu'une tante aussi sotte que pimbêche, des pèlerins aussi irascibles que mauvais joueurs assortis de la troupe d'un arnaqueur sur le retour. Récit de voyage sans réel intérêt, ce n'est même pas un roman. Et surtout pas un roman d'apprentissage.

Même les pires inconditionnels du vieux maître reconnaîtront qu'il est bien loin du mieux de sa forme ; qu'il n'a jamais été aussi mauvais. Quant aux jeunes lecteurs qui ne connaissent pas encore Jack Vance, on ne saura trop les inciter à le découvrir à travers Tschaï, Un Monde d'azur ou Emphyrio, plutôt que par cet opus à l'intérêt plus qu'incertain. Bien que cela reste malgré tout bien meilleur qu'une part non négligeable de la production, la déception est franche. Une histoire n'aurait pas été superflue.

Jean-Pierre LION

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