Steven HALL
ROBERT LAFFONT
448pp - 21,00 €
Critique parue en juillet 2009 dans Bifrost n° 55
Eric Sanderson se réveille un matin sans le moindre souvenir de ce qu'a été sa vie auparavant. Devenu amnésique, il part à la recherche du moindre indice lui permettant de reconstituer son passé. Il découvre alors que son « premier moi », l'Eric Sanderson d'avant l'amnésie, avait anticipé cette situation, et qu'il avait réuni un certain nombre de documents — lettres, textes codés — afin de parer à cet effacement de sa mémoire. Tout en continuant à réunir des indices sur sa vie passée, Eric Sanderson prend conscience de l'existence d'un « requin conceptuel » qui nage dans ses pensées et dévore ses souvenirs. Il apprend également qu'une jeune femme nommée Clio Aames était sa petite amie, et qu'elle est apparemment décédée. Poursuivant son enquête, Eric Sanderson part à la rencontre du docteur Trey Fidorous, un universitaire qui semble détenir des informations sur ce « requin conceptuel ». Sanderson pénètre peu à peu dans une sorte de monde parallèle, à la recherche de son passé et de son amour perdu…
C'est comme ça que débute le premier roman de Steven Hall : Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde. Et il est vrai que c'est plutôt intriguant. Pour compléter ce résumé, il faut aussi dire que Steven Hall utilise dans son livre toute une panoplie de procédés typographiques, et que le « requin conceptuel » qui hante les pensées d'Eric Sanderson apparaît dans certaines pages, sous la forme d'une silhouette composée de morceaux de mots. L'idée est ambitieuse, surtout pour un premier roman. On comprend d'ailleurs très vite la nature réelle du projet de Steven Hall : écrire un roman qu'on peut situer entre La Fin des temps d'Haruki Murakami et La Maison des feuilles de Mark Z. Danielewski. Et c'est là où tout se complique. Car Steven Hall n'a pas cette capacité qu'a Murakami de faire glisser son récit vers l'indicible ou le surnaturel tout en conservant une part de réalisme apparent. Il n'a pas non plus cette dimension visionnaire, quasiment lovecraftienne, qui faisait toute la force de La Maison des feuilles. Du coup, il est à la peine. Il a bien du mal a donner vie, corps et chair à sa fiction et à son narrateur. Le lecteur, quant à lui, passe d'une page à l'autre, d'un jeu typographique censé représenter visuellement le requin conceptuel à un morceau de fiction où le narrateur nous informe de l'état de ses recherches et des lieux qu'il visite. Mais la connexion, ou plutôt l'interaction entre ces deux niveaux du récit, ne se fait pas, ou trop peu. Le roman tout entier vire rapidement à l'exercice de style un peu vain. Là où Danielewski, en usant de procédés similaires, parvenait à capter et à maintenir l'attention de son lecteur, Steven Hall échoue. Il y a bien un léger sursaut d'intérêt lorsque Eric Sanderson rencontre une jeune femme nommée Scout dans le non-espace. Mais ça ne suffit pas. L'autre problème, c'est l'écriture de Steven Hall. Difficile de faire plus plat et plus banal. Bref, inutile d'en rajouter, car comme disait ma grand-mère : « quand ça veut pas, ça veut pas ! »
Trop ambitieux, trop conceptuel et référentiel (Steven Hall émaille son récit d'hommages appuyés à José Luis Borges, Italo Calvino, Lovecraft…), manquant cruellement de véritable enjeu et de véritable sujet, Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde ne convainc pas. Reste qu'il s'agit d'un premier roman, aussi attendra-t-on la suite pour juger du talent réel de ce jeune écrivain qui a encore tout à prouver.