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Les critiques de Bifrost

Et si Napoléon...

COLLECTIF
MNÉMOS
256pp - 19,00 €

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Dans la courte préface du présent ouvrage, Stéphanie Nicot rappelle que Napoléon Bonaparte est en France, mais aussi en Europe, le sujet d’une passion déraisonnable, suscitant la fascination de ses laudateurs comme les critiques de ses contempteurs. La précision est utile et même nécessaire, surtout lorsque l’on introduit une anthologie consacrée à l’Ogre, a fortiori lorsque l’on s’aventure sur le terrain de l’uchronie. Le personnage historique et son mythe ne président-ils pas d’ailleurs à la naissance du genre, comme le rappellent Bertrand Campeis et Karine Gobled dans une postface consacrée aux nombreux successeurs de Louis Geoffroy ? Remisant de côté les intentions commémoratives, même si l’on peut juger malicieusement que fêter la mort de l’Empereur n’est pas la plus mauvaise des idées, la préfacière préfère attirer notre attention sur la contribution de Napoléon à notre histoire, notant que le destin de l’Empereur a façonné pour un temps celle-ci, pour le meilleur comme pour le pire. Dont acte.

Treize auteurs ont donc choisi de relever le défi, impulsant à l’Empereur, à la France et au reste du monde une trajectoire historique différente. Ils ont laissé leur imagination vagabonder dans les angles morts de l’Histoire, non sans arrière-pensées éthiques, politiques ou plus simplement ludiques, donnant naissance à des visions alternatives avec le bénéfice du recul du temps. Un luxe dont ne peuvent se passer l’Histoire comme l’uchronie. Ainsi, qu’il soit vainqueur au lieu d’être vaincu, souverain d’un Empire ayant duré plus longtemps que son terme connu, ou plus simplement jamais arrivé au pouvoir, le personnage de Napoléon n’échappe-t-il pas au droit d’inventaire et à une certaine dose de critique.

Selon les goûts, on se passionnera pour le génie militaire du général, acquis au prix fort sur les champs de bataille russes ou européens (« La Nouvelle campagne de Russie » de Fabien Cerutti, « Crassus et Auguste » de Thibaud Latil-Nicolas) ou pour son aventure égyptienne (« Mémorial de Philae » de Ugo Bellagamba). On déplorera l’autoritarisme et l’appétit de conquête de l’Ogre, nourrit à l’imaginaire de VGE et de John Campbell (« L’Empereur d’un autre monde » de Johan Heliot). D’aucuns préféreront sans doute l’originalité de Michael Roch (« Rêves d’égalité »), la poésie du désastre de Jean-Claude Dunyach (« La Dynamique de la révolution »), seule réédition du présent ouvrage, l’uchronie gigogne de Jean-Philippe Jaworski (« Implacable Clio »), la gouaille amusante de Silène Edgar (« Tout se distille »), même si le texte paraît anecdotique, la féerie fantastique de Victor Dixen (« Cent-Jours sans lui ») ou le sarcasme moqueur de Jean-Laurent Del Socorro (« L’Horatius Clotès du Tyrol ») et de Raymond Iss (« Le Dernier rêve de Napoléon »). Dans tous les cas, parmi les treize auteurs, bien peu se sont laissés aller au panégyrique bas de plafond ou à la caricature facile. Une certaine retenue, une bonne connaissance historique, et même une touche de fantaisie contribuent surtout à la cohérence des uchronies proposées en dépit de quelques textes plus faibles que les autres (« Au Service Secret de l’Empereur » de Laurent Poujbois, sorte de préquelle à son roman L’Ange blond, ou encore « Dernier soleil » d’Armand Cabasson, qui voit un Napoléon âgé s’inviter à la bataille de Camerone).

Et si Napoléon… n’est donc pas une simple anthologie prétexte, trop respectueuse pour être honnête, trop caricaturale pour être digne d’intérêt. Bien au contraire, l’ouvrage compte des nouvelles d’auteurs ayant su tirer leur épingle du jeu, sans tomber dans le piège commémoratif. À découvrir.

Jean-Pierre LION

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