Ce septième ouvrage de la « Bibliothèque dessinée » des Moutons électriques, Melchior Ascaride le signe seul. Le codirecteur et graphiste principal de la maison d’édition ovine n’avait cependant plus à démontrer son talent d’illustrateur et livre ici un ouvrage soigneusement maquetté, offrant un rapport rafraichissant et toujours renouvelé à l’objet-livre. Côté texte, l’auteur s’impose avec brio, jouant d’une langue aussi élégante qu’acérée, prêtée à sa narratrice. Dans la forme, les amateurs de la petite collection y retrouveront donc tout ce qui fait sa qualité depuis son lancement – en 2017.
Sur le fond, l’auteur choisit de réinterpréter le mythe d’Orphée en donnant cette fois la parole à son épouse. Il faudra peut-être, afin de prendre la mesure de ce parti pris, se remémorer ce qu’Ovide contait du sort de la sage Eurydice dans Les Métamorphoses, bien prompte à accepter son sort alors qu’elle s’en retourne aux Enfers à cause de l’empressement de son mari. Et si celui-ci avait sciemment orchestré cette seconde perte dans le seul but de composer son plus beau chant ? Voilà donc la dryade partie en quête d’une vengeance à laquelle rien ni personne ne saurait s’opposer, pas même le maître des lieux. Le message est fort en ce qu’il revendique, à travers elle, l’émancipation de toutes les femmes laissées pour compte par une mythologie décidément trop portée par le regard des hommes. Ainsi, sa fronde entraîne la formation d’une sororité donnant à chaque femme ayant choisi de l’accompagner la force de refuser l’ordre établi, partial et injuste.
Aveuglée par la rage, Eurydice ne semble d’abord portée que par l’idée qu’elle se fait des intentions d’Orphée. Mais contrairement à Ovide, Melchior Ascaride finit par dépeindre un chantre égoïste, finalement peu soucieux du sort de sa défunte épouse. Là réside la réinterprétation venant au service du message porté par l’ouvrage. On pourra regretter, peut-être, le choix de la vengeance comme pierre angulaire de ce récit alternatif. Est-ce bien là un sort plus enviable ou plus digne que celui qu’il vient remplacer ? Que l’on opte pour la douceur du poète latin ou pour la violence proposée ici, le sort des amants en demeure inchangé, d’une tristesse implacable. Malgré tout, le contraste produit reste intéressant.