Eutopia est un roman d’apprentissage, une suite de souvenirs sans grand intérêt, ceux d’Umo, narrateur mou et falot, d’une constante médiocrité, dont la fréquentation est d’un ennui souverain (alors imaginez sur plus de 640 pages). Vous saurez tout de sa vie : son enfance à Pelagoya, ses études à Grivé, ses amours (surtout celui pour Gob, un brin contrarié), ses érections désirs, ses cuites, son entrée dans le monde du travail, sa musique, etc. Le récit est situé dans un futur principalement bucolique et énergétiquement frugal, où la notion de propriété appartient à l’Histoire, où a été mis en place un « salaire universel ».
L’ensemble ne tient pas du tout debout (malgré, ou à cause des tartines d’explications dont se fend l’auteur). Et parce que toute une dimension de la nature humaine est occultée, Eutopia ne supporte pas la comparaison avec Les Dépossédés d’Ursula K. Le Guin (qu’elle qualifiait elle-même d’utopie ambiguë) ou L’Archipel du rêve de Christopher Priest, belle réflexion sur les vices cachés d’une société en apparence idyllique. Cerise sur le gâteau, l’écriture de Camille Leboulanger est dénuée de toute force. Pour le dire autrement, le texte est farci de phrases bancales, d’incohérences mineures, de problèmes de concordance de temps et de détails inutiles – des tonnes de détails stériles et de paragraphes qui ne servent à rien. Au moins la moitié de ces 650 pages aurait pu être sabrée sans qu’aucune information n’eût été perdue dans l’opération ; à peu près à chaque fin de phrase, le lecteur se surprend à avoir envie de hurler : « mais on s’en branle ! »
À qui s’adresse cette utopie d’une naïveté crasse, sincère à défaut d’être réussie ? Difficile à dire, tant on a l’impression de lire le pensum d’un Oui-Oui sous marijuana, qui aurait découvert, un lendemain de cuite à la bière Éco+, le communisme libertaire de Pierre Kropotkine. Et se serait dit qu’il faudrait peut-être en faire une mise à jour, en y intégrant metoo et toutes les avancées sociales du XXIe siècle. Si quelqu’un retrouve les ciseaux des éditions Argyll, qu’il pense à les leur ramener dans les plus brefs délais.