Excession est le cinquième volume du cycle de « La Culture », référence absolue, avec l’Hypérion, de Dan Simmons, des univers où les IA règnent sur une civilisation interstellaire humaine. La Culture est une utopie anarchiste à économie post-pénurie, sans lois, sans hiérarchies évidentes, pacifiste, écologiste (on vit sur des vaisseaux, des astéroïdes ou des stations, tant la terraformation répugne), altruiste et sage, un guide bienveillant pour les sociétés moins avancées et éclairées, un rêve progressiste incarné où, notamment, on peut changer de genre à volonté. Mais, surtout, c’est le royaume de l’hédonisme, les humains ayant abandonné production et responsabilités aux IA, dont les plus puissantes, les Mentaux, sont incarnées dans des astronefs atteignant parfois des centaines de kilomètres de long. Superpuissance galactique, la Culture n’est menacée par rien, pas même les supernovæ, pas même une autre grande puissance. C’est du moins la théorie… pour ne pas dire la fable !
Fable qui va se fracasser sur le mur de la réalité quand surgit une Excession, objet incompréhensible venu d’ailleurs, aux pouvoirs si colossaux qu’elle relativise la place de la Culture dans l’univers, aux capacités qui pourraient lui offrir accès à d’autres cosmos et un niveau technologique inédit. Un groupe de Mentaux de Circonstances Spéciales (les services secrets de la Culture, son « élite » – une hiérarchie, donc, en plus de celle, implicite, plaçant les IA au-dessus des humains) se forme pour évaluer la situation, mais se retrouve bientôt écarté au profit de la Bande des Temps Intéressants, mythique groupe de vaisseaux qui, lui-même, va s’apercevoir qu’une cabale au sein de CS veut profiter de l’incident. Le but est de pousser l’Affront, une race alien se glorifiant de sa cruauté, à déclarer la guerre à la Culture, malgré l’énorme disparité technologique, militaire et industrielle qui les sépare – les valeurs de la Culture lui interdisant de remettre (martialement) l’Affront dans le droit chemin. Excession adopte une dimension épistolaire quand le cœur de son intrigue principale prend la forme d’échanges de messages entre les différents Mentaux impliqués, à la manière de ce qu’avait fait Vernor Vinge dans Un Feu sur l’abîme.
Montrant qu’une société IA au sommet de l’échelle progressiste peut en fait opérer un impérialisme (pour ne pas dire un colonialisme) idéologique, que certains de ces Mentaux prétendument bienveillants et pacifistes peuvent déclencher une guerre, certes à l’issue ne faisant aucun doute, sacrifiant humains, Affronteurs et IA pour un plus grand Bien global, et que cette utopie éclairée se glorifiant de sa théorique sagesse cède à l’éclat des joyaux (ici, les secrets de l’Excession) aussi aisément que le dernier des rois barbares, Excession est un roman fondamental dans la thématique IA.