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Les critiques de Bifrost

Exodes

Exodes

Jean-Marc LIGNY
L'ATALANTE
544pp - 24,50 €

Bifrost n° 68

Critique parue en octobre 2012 dans Bifrost n° 68

Les fins du monde sont rarement gaies. Avec Jean-Marc Ligny, elles s’avèrent paradoxalement belles, à l’image de l’illustration de couverture très graphique de Teraf, fait suffisamment rare chez l’Atalante pour qu’on le signale.

Le lecteur avide de questions environnementales et géopolitiques se souvient sans doute de AquaTM. Le roman anticipait les plus que probables conflits de l’eau, se contentant, comme toute bonne SF, de pousser l’extrapolation jusque dans ses ultimes retranchements. Avec Exodes, l’auteur français nous projette en Europe, quelque part entre la fin du XXIe et le début du XXIIe siècle. Une projection dont on a pu découvrir un aperçu avec la nouvelle « Le Porteur d’eau » au sommaire du n° 56 de Bifrost. A cette époque, l’emballement du réchauffement climatique a fini par faire passer les pires prévisions du GIEC pour une aimable bluette. Les mesurettes préconisées par le développement durable apparaissent désormais comme l’ultime blague d’une économie productiviste ne voulant surtout rien changer à sa manière de faire. Le dernier pied de nez d’une société de consommation ne désirant rien bouleverser dans sa façon de vivre. On suit ainsi les itinéraires de six groupes à travers une Europe en proie au chaos, au struggle for life et à la barbarie. Des trajectoires jalonnées d’épreuves, de moments de répit, parfois d’espoir, mais qui s’achèvent surtout sur une voie sans issue.

Mélanie, l’amie des animaux, cherchant à faire le bien autour d’elle pour en récolter les bienfaits. Fernando, jeune homme parti autant à l’aventure que pour fuir une mère dévote, persuadée que les anges descendront bientôt du ciel dans leurs OVNI pour sauver les élus de l’enfer terrestre où croupit l’humanité. Elle prendra la route à la suite de son fils pour répondre à des visions. Paula, prête à tout pour protéger ses deux enfants. Olaf et sa femme, couple des Lofoten à la recherche d’un refuge, loin de la folie des hommes. Pradesh Gorayan, chercheur en génétique condamné à trouver le secret de l’immortalité s’il souhaite continuer à vivre en toute quiétude dans l’enclave climatisée et surprotégée de Davos. Tous se démènent pour survivre dans un monde où dieux et maîtres imposent leur férule sur des existences précaires.

Le récit de ces destins nous dévoile un vieux continent arrivé en bout de course. Squelettes urbains hantés par les Mange-morts, spectres décharnés, humains déchus retournés à l’état de bêtes dévorant les cadavres. Terres incultes polluées par les effluents toxiques et les remontées d’eau salée. Ecosystème à l’agonie, déjà colonisé par les successeurs de l’homme : fourmis, scorpions, plantes mutantes, méduses gorgées d’acide, moustiques porteurs de maladies tropicales… Routes à la chaussée tavelée par le soleil parcourues par des véhicules bricolés à la Mad Max. Villages retranchés où prévaut la loi du chacun pour soi. Et la menace constante des Boutefeux, hordes anarchiques vouées à la destruction, à l’annihilation et à l’extermination, histoire de purger la Terre de l’humanité, ce virus qui la ronge jusqu’à l’os.

Dans ce monde, seules quelques enclaves brillent encore des derniers éclats de la civilisation. Des havres de paix et de science ? Plutôt des mouroirs pour une classe de nantis, fins de race avides de découvrir le secret de l’immortalité afin de perpétuer leur pouvoir le plus longtemps possible sans se soucier du futur.

Roman noir de l’avenir, la dystopie de Jean-Marc Ligny secoue les certitudes. Si le réchauffement climatique et l’effondrement sociétal en résultant constituent l’arrière-plan d’Exodes, l’homme apparaît comme le cœur du propos de l’auteur. A la fois lyrique, sarcastique et cruel, Ligny ne ménage pas ses effets pour rendre son roman d’une lucidité douloureuse. Il se focalise sur l’humain, le dépouillant de son vernis d’être civilisé. Au rencart la compassion, la solidarité et la générosité. Que reste-t-il ? Un animal dont l’unique souci semble être d’arracher un jour de vie supplémentaire, quitte à le prendre à autrui. On reste pétrifié par ce comportement, hélas très vraisemblable.

Après AquaTM, Jean-Marc Ligny signe à nouveau un roman coup de poing. De ceux parlant autant à la tête qu’aux tripes. Une lecture plus que recommandable, pour ne pas dire indispensable !

Laurent LELEU

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