En Surface, à la FNAC Saint-Lazare à Paris, un double meurtre est commis la veille du lancement ultra-médiatisé du dernier roman d'Etienne Verbellec, l'auteur phare des éditions Magillard. Au même moment, en Faërie, un corps salement amoché est retrouvé dans l'immense bibliothèque de la Folie Clébédia. Visiblement, ces meurtres sont liés : un rire cristallin, des petits pas légers mais un être invisible, des résidus de magie d'une couleur inusitée et inquiétante. Il n'en faut pas plus à la fey Lil et au Capitaine Lartagne pour reprendre du service et mener l'enquête. Alors que les crimes s'enchaînent en Surface comme en Faërie, l'étau se resserre autour de Verbellec et des éditions Magillard, qui semblent être au centre de tous ces phénomènes meurtriers. Qu'a fait Verbellec, quel genre d'entité a-t-il bien pu réveiller, quel pacte a-t-il conclu — et n'a pas honoré ? Autant de questions auxquelles Lil et Lartagne aimeraient bien que l'écrivain réponde, mais encore faudrait-il pouvoir lui mettre la main dessus…
Or donc, voici que la belle fey Lillshellyann Aleiannhyless Lliannhsell'an (Lil pour les intimes) et le Capitaine Lartagne endossent à nouveau leur défroque d'enquêteur au service d'Obrasian Phulmis, le presque-dragon, pour cette seconde plongée en Faërie, leur monde d'origine. Enfin, plongée, c'est vite dit. Car dans cette séquelle, la place accordée au monde de Faërie est assez minimaliste, l'action se situant pour la plus grande part en Surface. De Faërie, nous n'apercevrons que la Folie Clébédia et ses jardins, de ses habitants, nous n'aurons droit qu'à un pauvre Troll et son compagnon de Nain, ainsi que quelques Panous-panous en robe de bure. La Surface n'en est pas mieux lotie pour autant. Le décor se compose presque exclusivement de l'intérieur des éditions Magillard, et seul le final nous fera prendre un peu l'air en nous emmenant à la montagne. Johan Heliot a donc resserré les liens géographiques et revu à la baisse ses prétentions de bestiaire. En soit, cela n'a rien de déshonorant, bien sûr, même si cet auteur nous avait habitué à plus d'envergure. Cependant, gare à l'attente du lecteur tombé amoureux de Faërie dans le premier opus et dont les yeux brillaient déjà de convoitise : cette attente sera déçue.
Autant Faërie hackers était au service de Faërie, de ses habitants et de sa magie, autant Faërie thriller est au service… de Johan Héliot. À lire cet ouvrage, on a l'impression que les aventures de Lil et du Capitaine ne servent que de vague prétexte pour peindre avec une joyeuse férocité, non dénuée d'humour, le milieu de l'édition. La galerie de personnages, du grand Sachem à l'écrivain superstar maison, en passant par l'attachée de presse, est haute en couleurs et assez savoureuse. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Heliot n'est pas un tendre lorsqu'il parle de ces gens-là ! Ah, par contre, il fait une exception pour les éditions Mnémos, son éditeur dans la vraie vie, pour lesquelles on sent en filigrane un hommage assez appuyé. Dans la même veine, à signaler également l'identité du premier mort appartenant au petit monde littéraire français, qui m'a fait hurler de rire, ainsi que la toute dernière page, un régal d'espièglerie, avec un joli clin d'œil en passant à votre revue préférée.
Alors, Faërie thriller, une immense private joke de 315 pages ? Un terrain miné pour règlements de compte ? Difficile de choisir, sans doute un peu des deux, et plus si affinité, tant ce roman donne l'impression d'avoir été écrit pour les copains plus que pour l'histoire elle-même. Résultat : Faërie thriller est un cran en dessous de Faërie hackers. L'action s'essouffle en fin de parcours. L'intrigue est basique et bien moins inventive, sans grande surprise et un peu molle du genou. L'espace est étriqué et il n'y a pas foule. Les personnages, pourtant toujours aussi savoureux, manquent cette fois sérieusement de motivation et semblent un peu se traîner.
Un auteur peut-il s'essouffler dès la première séquelle ? Possible, mais tout est relatif. Si on ne retrouve pas ici ce qui fait habituellement la force de Johan Heliot, ce roman reste cependant bien troussé et fort agréable à lire, d'une seule traite et avec enthousiasme. Bien sûr, le propos risque d'en agacer plus d'un, même si les Bifrostiens purs jus adoreront le mordant et la truculence, et ce en dépit d'une histoire qui, on l'a dit, se révèle d'une envergure bien faiblarde.