Stephenie MEYER
LIVRE DE POCHE Jeunesse
576pp - 8,90 €
Critique parue en octobre 2010 dans Bifrost n° 60
Ne reculant devant aucun sacrifice, je me suis procuré ce pavé et je l’ai parcouru d’un derrière distrait.
La narration est d’une linéarité limpide : une jeune fille arrive dans une ville moche du nord des Etats-Unis, elle va au lycée où elle rencontre des gens et rédige des devoirs de sciences naturelles. L’ellipse est rare et le vocabulaire, simpliste.
L’histoire : elle rencontre un beau gars, elle en tombe amoureuse, c’est réciproque et surprise ! C’est un vampire. Va-t-il la boire ? A priori, non, puisqu’il y a deux ou trois tomes à suivre. Va-t-il l’embrasser ? A la page 250, on en doute.
Malheureusement, l’auteur achoppe sur la première pierre venue : son vampire est tellement plus beau que beau qu’il est impossible de le visualiser, comme le « plus blanc que blanc ». Sa peau est d’albâtre ici, de marbre quelques pages plus loin, de diamant ensuite, ses yeux sont de topaze ou d’onyx, bref, il ressemble à un catalogue Tiffany. La beauté est rarement sexy.
Mais ce qui m’a intéressée, dans ce livre, c’est l’image de la jeune fille américaine à laquelle les ados aiment s’identifier.
1) C’est une bonniche. Elle fait les courses parce que ça l’amuse, elle fait le dîner parce que ça la distrait, elle gère le linge parce que ça lui change les idées et elle se tape la vaisselle parce que ça lui occupe les mains.
Super.
2) Elle ne mange pas. Elle ne mange pas équilibré, elle ne mange pas végétarien, elle ne mange pas bio : elle ne mange pas tout court. Elle passe son temps à avoir l’estomac noué, ou des crampes, ou pas d’appétit, et elle suçote un Coca Cola d’un air distrait. Je suis sortie de cette lecture avec l’impression d’avoir compris deux ou trois choses concernant l’obésité aux Etats-Unis. Notez qu’à cette étonnante absence d’estomac correspond une identique absence de foufoune.
3) Elle passe son temps à tituber, on se croirait dans Conan. Elle tombe dès qu’elle met un pied devant l’autre, elle rougit à tout bout de champs, elle a des vapeurs en cours de dissection, des migraines et des insomnies qu’elle soigne en avalant un cachet d’antibiotiques (?) qui lui met la tête à l’envers ( ??).
Dépassons la page 250. Dans la seconde partie du livre, les deux héros jouent à touche-pipi depuis le haut du crâne jusqu’à la clavicule inclusivement. Ils se mettent le nez dans l’oreille et le doigt dans la bouche pendant de très longues pages.
Ensuite, nous avons droit à la séquence suspens : l’héroïne se fait agresser par un autre vampire. C’est du pur SM à la petite semaine comme on en trouve dans les « New York Police Expert Investigation Blues de Miami ». Ce genre d’appel du pied à notre goût du sang des autres m’écœure comme du miel dans du sucre.
Au fond, ce livre est horrible. Imaginez-vous en ménage avec quelqu’un qui ne vous lâche jamais, vous regarde dormir la nuit, écoute tout ce que vous dites, vous interdit de conduire et vous oblige à manger, ne supporte pas que vous parliez à une autre personne (il ne va pas pouvoir se retenir de la tuer) ni que vous l’embrassiez (il ne va pas pouvoir se retenir de vous tuer). C’est pire qu’Histoire d’O ! Jamais vu ça, même au ciné… Et le plus horrible, c’est qu’elle a l’air contente.
Une fois le pensum refermé, il ne reste plus qu’à s’interroger sur les raisons de son succès. C’est peut être dû à son côté bigger than life. Imaginez : vous êtes une adolescente quelconque, un peu complexée, un peu boutonneuse, ni blonde ni sportive, vous croisez le plus beau gars du lycée et
1) Il tombe fou amoureux de vous. En plus, Il est « vertueux comme on ne l’est pas et il pleure comme une urne », à l’image des héros des romans qu’aimait lire madame Bovary. Alors qu’en toute logique lycéenne, Il devrait être prétentieux comme un dindon et aussi basique qu’un tube de néoprène.
2) Il est bizarre. Avec Lui, vous ne courez aucun risque d’avoir à supporter la bande de copains, les matchs de foot et les problèmes d’acné.
3) Il ne couche pas. Et ça, à l’adolescence, ça peut être tentant. Un beau gars est attirant, les mystères de son pantalon le sont moins.
A cet aune là, il n’est pas étonnant que ce roman plaise. Mais dans les à-côtés de l’intrigue centrale, je ne comprends pas pourquoi l’héroïne fait la vaisselle au lieu de faire de la varappe, ni pourquoi elle est incapable de taper dans un ballon sans se tordre la cheville, ni pourquoi elle n’avale pas un bon steak à midi. Qu’est-ce que ça enlèverait à l’histoire ?
Conclusion : Judith Butler, reviens ! Elles sont devenues folles.