Déjà récompensé outre-Atlantique par pas moins de trois prix (le Prix du CALQ, le Prix des Horizons imaginaires et le Prix Ville de Québec), ce premier court roman a fait une entrée remarquée en France chez L’Atalante dans la collection « La Dentelle du Cygne », au sein de laquelle il détonne déjà : sous ses airs de fix-up, Faunes s’offre en « constellation » de moments dont le récit, très court, passe tel un coup de vent glacé dans la nuit. Le texte est brumeux, l’atmosphère sombre, l’intrigue inquiétante. L’éditeur, comme pour couronner cette singularité, a façonné un ouvrage d’une qualité appréciable, et pris soin de mettre sa maquette au service de l’œuvre. L’illustration de couverture, signée Martin Wittfooth et tirée de l’édition d’origine, installe idéalement le décor de cette aventure.
D’une page d’un noir profond à l’autre, l’autrice dépeint un monde étrange qui ne fera que s’esquisser aux yeux du lecteur avant de lui échapper aussitôt. Laura, une biologiste travaillant à la frontière de plus en plus poreuse entre l’humain et l’animal, dans un monde où la nature telle que nous la connaissons semble se dérober à l’emprise de l’humanité, demeure l’unique repère fiable de cette lecture. Car c’est bien elle que l’on voit se détacher peu à peu de ses pairs pour glisser vers une condition autre, tel le témoin d’une humanité nouvelle. Laura nous est contée au travers de ses expériences et de ses choix, ou dans le regard de ceux dont elle croise le chemin. Le lecteur ne fait ainsi que deviner son parcours, et à travers lui l’évolution d’une espèce humaine qui semble avoir perdu de sa superbe.
Christiane Vadnais, dont le style très organique ne fait que renforcer l’impression de cheminer à l’aveugle au bord d’une pente abrupte, réussit ici son pari. Située elle-même en frontière, cette œuvre impressionniste apparaît, faute de pouvoir s’inscrire franchement dans un genre précis, véritablement inclassable. Aucune importance, en fin de compte : peut-être le but était-il justement de laisser derrière elle un sentiment indéfini, de passer comme une ombre dont on n’a pas pu clairement identifier les contours. Œuvre performative, donc, qui échappe à son lecteur tout comme le franchissement de la frontière échappe à Laura. Une ouverture rafraichissante, en somme, et une occasion en or de s’échapper des sentiers parfois trop bien balisés de l’Imaginaire grâce cette voix nouvelle assurément talentueuse.