John BRUNNER
LE PASSAGER CLANDESTIN
130pp - 7,00 €
Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80
La maison d’édition indépendante Le Passager Clandestin est une toute petite maison radicale, engagée et militante contre une certaine forme insatisfaisante du monde. Au milieu des non fictions, on y trouve la collection « Dyschroniques », qui remet à l’honneur des textes anciens de grands noms de la SF. Nouvelles ou novellas posant en leur temps les questions environnementales, politiques, sociales, ou économiques, ces dix-huit textes à ce jour livrent la perception du monde qu’avaient ces auteurs d’un temps aujourd’hui révolu. Et si certaines questions semblent moins d’actualité, d’autres, en revanche, sont devenues brûlantes et illustrent, hélas, la pertinence des craintes exprimées par les auteurs de SF.
On notera que chaque ouvrage a fait l’objet d’un joli travail d’édition, chaque texte étant suivi d’une biographie/bibliographie de l’auteur, d’un bref historique des parutions VO/VF, d’éléments de contexte, ainsi que de suggestions de lectures ou visionnages connexes. Une bien jolie collection, donc.
Faute de temps est une novella de Brunner, qui s’illustrera ensuite en écrivant le sidérant Tous à Zanzibar, point de départ de la « Tétralogie noire ». Faute de temps se passe ici et maintenant. Alors qu’assailli de terrifiants cauchemars récurrents, le docteur Harrow tente de dormir, un coup de sonnette aussi nocturne qu’inopportun fait entrer dans sa vie un SDF bien singulier. Mutique, presque nu, l’homme semble porteur d’une maladie très rare dont, surprenante coïncidence, le fils d’Harrow est mort récemment. Seuls effets personnels, un couteau ébréché et un os de phalange. Transporté à l’hôpital où Harrow exerce, le SDF à l’identité inconnue constitue un mystère qui ne fait que s’épaissir au fur et à mesure des investigations le concernant. Qui est cet homme ? D’où vient-il ? Comment peut-il être atteint d’une maladie très rare qui tue ceux qui en souffrent bien avant l’âge adulte ? Et quelle est cette étrange langue qui semble être la sienne ? Ces questions vont tourner en boucle dans l’esprit fragile d’Harrow, jusqu’à en occuper la totalité. Au fil son enquête, de faits étranges en liens peu cohérents, Harrow comprend et doit admettre l’incroyable vérité ; Holmes ne disait-il pas : « lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité » ? Cette vérité (non, ce n’est pas un alien), si incroyable que personne n’en voudra, poussera Harrow aux portes de la folie, et les lui fera clairement franchir aux yeux de son entourage. Lanceur d’alerte qu’on n’écoute pas, Harrow est, cinq ans avant Les Envahisseurs, un tragique David Vincent. La surdité volontaire de l’humanité est aussi coriace que navrante.
Vraiment intrigant, assez long pour assurer une montée dramatique, logiquement cohérent, le texte plonge au cœur de l’obsession de Max Harrow et déroute assez le lecteur pour la lui faire partager. Il aurait fait un excellent épisode de The Twilight Zone, il en a le format et la saveur (mais, voir dessous). Je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler l’histoire et je conseille vivement à d’éventuels lecteurs d’en apprendre le moins possible sur Faute de temps avant de le commencer.
Première publication de Faute de temps en 1963, et adaptation télé par la BBC en 1965, série Out of the Unknown S01E10.