Paolo Bacigalupi est un jeune écrivain en vogue. Avec son premier roman, La Fille automate, il a raflé les quatre prix les plus prestigieux dans le monde de la SF : Hugo, Campbell, Locus et Nebula. Rien que ça ! Autant dire que beaucoup l’attendaient au tournant pour son deuxième ouvrage. Confirmera ? Confirmera pas ? C’est ce que nous allons voir avec ce Ferrailleurs des mers, un roman « young adult », comme on dit quand on se la pète, à savoir destiné avant tout aux ados.
L’histoire… Fin du XXIe siècle, le monde est ravagé par des ouragans, le niveau des eaux monte et une grande partie des côtes se retrouve submergée. Les Etats-Unis sombrent dans le tiers monde. Il n’y a plus de routes, plus de pétrole, plus de voiture, plus d’économie. La vie se réorganise na-turellement de manière tyrannique. Les adolescents et les pauvres sont exploités pour aller récupérer dans les épaves échouées tout matériau ayant de la valeur au marché noir : cuivre, fer, et pourquoi pas un « lucky strike » — une poche de pétrole et c’est la richesse assurée… Nailer, jeune adolescent de quinze ans, fait partie de ces Ferrailleurs, et c’est son parcours initiatique que nous allons suivre. Après un énième ouragan qui dévaste son bidonville, Nailer découvre, échoué sur la côte, un clipper, fantastique voilier aux technologies avancées, ce genre de bateau généralement inaccessible car restant au large, et appartenant à une population riche réfugiée dans un lieu inconnu. Une aubaine pour le jeune ferrailleur, son lucky strike à lui, la possibilité d’un avenir meilleur grâce à tout ce qu’il va pouvoir extraire du navire. Avec Pima, son amie la plus proche, Nailer entreprend d’explorer le clipper et découvre une jeune fille blessée et évanouie. Cas de conscience pour le jeune homme. Doit-il l’abandonner et profiter de son butin, ou tenter de la sauver au risque de tout perdre ? Il décide de l’aider, bien sûr, et commence alors une aventure trépidante pour nos trois protagonistes…
Dans une précédente chronique, nous nous étions risqué à comparer Steven Spielberg et Terry Gilliam, reprochant au premier un didactisme parfois appuyé alors que le second, plus inventif, plus elliptique aussi, entrouvrait les portes de la réflexion des spectateurs — ou comment stimuler le libre arbitre de chacun. Avec Bacigalupi, c’est le même principe. Ce dont on se félicitera, a fortiori concernant un livre destiné à un jeune pu-blic, ici amené à se forger lui-même une opinion sur des sujets d’actualité : lutte des classes, écologie, raréfaction des matiè-res premières, manipulations génétiques… Mais aussi des sujets qui touchent les adolescents dans leur quotidien : amour, liens au père, amitié, loyauté de clan, naissance d’idéaux politiques… C’est avec beaucoup de maîtrise que l’auteur mêle à la fois romance, aventure et thématiques plus sérieuses. Une vraie réussite, tant il est compliqué de trouver en littérature « young adult » semblable exhaustivité. Nombreux sont les auteurs à se limiter à l’aspect ludique de leur texte sans que nos neurones soient le moins du monde sollicités ; il en va différemment avec Ferrailleurs des mers, par ailleurs servi par une plume déjà bien aiguisée. Le style est fluide, les dialogues efficaces, les personnages fouillés et l’évolution de l’intrigue fort bien rythmée. Une suite est déjà programmée pour novembre 2013, toujours aux éditions du Diable Vauvert, Les Cités englouties. A suivre, à lire…
Pour finir, saluons à nouveau le travail de l’éditeur. Outre les qualités de l’auteur et de son texte, la souplesse du livre, la tenue du papier, le choix de la typo, le fait qu’il n’y ait aucune coquille à relever et une illustration de couverture de Bob Warner proprement somptueuse font du Diable une maison indépendante des plus recommandables.