Six mois après la première partie (parce que Pygmalion), nous avons enfin droit à la seconde partie… du premier tome de Feu et sang, soit la chronique des trois siècles durant lesquels la dynastie Targaryen a régné sur Westeros. Rassurez-vous cependant, ou désespérez, le tome 2 ne sortira pas de sitôt, George R.R. Martin ayant affirmé qu’il voulait conclure la saga principale du « Trône de Fer » avant de revenir sur cette « préquelle ». On a donc de la marge.
Reste que cette « seconde partie », même publiée indépendamment, n’est jamais que la deuxième moitié d’un livre unique. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les mêmes qualités et les mêmes défauts valent pour les deux volumes. Au premier chef, cette seconde partie est, comme la première, le cul entre deux chaises : ni vraiment roman, ni vraiment chronique, une tentative de solution intermédiaire qui ne convainc jamais totalement, les qualités des deux registres étant souvent absorbées par leurs inconvénients respectifs. Formellement, Martin ne s’applique guère, de toute façon, et on ne lira pas Feu et sang pour la joliesse de l’expression.
Mais qu’importe : l’histoire qui nous est narrée est toujours aussi prenante, et le récit est plus dense et plus vif que dans les romans du « Trône de Fer », et tout spécialement les derniers (le rendu des dialogues y est pour beaucoup). Pourtant, elle n’a probablement pas grand-chose d’original, puisant à tour de bras dans l’histoire notamment européenne, avec toujours, de manière très marquée, ce côté « Les Rois Maudits », associant haute et basse politiques, guerre et crime.
Si le premier volume s’était achevé au crépuscule d’un règne long, prospère et (relativement) paisible, la crise est au cœur de celui-ci : une inévitable querelle successorale, où le machisme a sans surprise sa part, précipite les Sept Couronnes dans la guerre civile. Les alliances se font et se défont au gré des caprices et des intérêts particuliers, les monarques éphémères se succèdent à toute vitesse sur le Trône de Fer, et cette « Danse des Dragons », comme on l’appelle, bien ironiquement, marque surtout l’avènement d’une ère maudite, où les glorieuses en même temps que terribles créatures si intimement associées aux Targaryen brillent désormais par leur absence. Au plan symbolique ou très prosaïquement, tout cela donne la conviction d’un lamentable gâchis – comme il se doit. Et quand bien même à l’occasion tel noble seigneur exceptionnellement intègre, tel amiral intrépide multipliant les odyssées maritimes, cherchent à nous rappeler que, dans cet univers sordide, il existe bel et bien des héros. Rassurez-vous, les crapules brutales et cruelles sont bien plus nombreuses…
Un bon point pour cette seconde partie : même sans parvenir tout à fait à donner véritablement le sentiment que l’on lit une chronique, George R.R. Martin use d’un expédient pertinent, et plus marqué que dans le premier tome, qui est la confrontation de sources contradictoires. Car il est bien des manières de conter les événements de la « Danse des Dragons » ; avouons que les récits obscènes du truculent Champignon, fou et sage, auront sans doute la préférence du lecteur… comme du mestre narrateur qui prétend s’en offusquer.
La très brusque « conclusion » du récit laisse cependant un goût amer en bouche – l’histoire, de toute évidence, se poursuit au-delà, jusqu’au Roi Fou et à la révolte de Robert Baratheon… Ce sera pour un autre volume, et clairement pas tout de suite.
Même bilan, en somme, que pour la première partie : un livre formellement perfectible, un projet plus ou moins assuré, mais une histoire qui passionne et enthousiasme, en éclairant par ses thèmes la saga principale. On n’en demandait au fond pas beaucoup plus.