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Les critiques de Bifrost

Feuillets de cuivre

Fabien CLAVEL
ACTUSF
344pp - 20,00 €

Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81

Durant quarante ans, le policier Ragon traîne son mal-être et une énorme carcasse à travers les rues parisiennes. De sordides garnis en splendides hôtels particuliers il affronte le crime, décliné en problèmes audacieux, à l’ingéniosité fantasque. Loin des progrès de la toute nouvelle police scientifique, Ragon délaisse souvent l’observation directe des cadavres, dédaigne les indices s’ils ne sont pas liés à un livre. Car Ragon suit les lignes de vie dans les phrases imprimées, s’informe d’une vie en parcourant son résumé écrit. Au fil de sa carrière, laborieuse comme son déplacement, Ragon affronte le mal, qui finira par révéler son identité : l’Anagnoste. Conformément au plus beau de la tradition feuilletonesque, l’affrontement entre le policier et sa Némésis décidera de leur devenir commun…

Encadré comme de serre-livres par une préface vive et avisée d’Étienne Barillier, et une postface d’Isabelle Perier, érudite mais grevée d’« Ainsi » répété qui fleure le tic d’écriture, Feuillets de cuivre apparaît d’entrée comme l’œuvre la plus ambitieuse de Fabien Clavel à ce jour. Le récit en forme de fix-up présente de réelles qualités, principalement l’élaboration d’une création assurément personnelle – on est ici loin de l’ouvrage de commande –, œuvre en soi qui s’inscrit également dans l’univers commun mis en place au fil des écrits de l’auteur.

Ragon, que l’on voit littéralement porter le poids de son existence, est un personnage fort, attachant, peut-être sous-exploité dans son rapport essentiel aux livres (par comparaison, il faut lire Le Corps des libraires de Vincent Puente aux éditions La Bibliothèque, qui, sur des présupposés similaires, les explore jusqu’au bout en un stupéfiant exercice d’imagination), et assurément trop vite expédié à la fin. Il est entouré de beaux personnages secondaires comme pouvait en offrir le classique et populaire cinéma français.

Reste toutefois que la narration souffre de certains défauts. Que le personnage soit à peine animé, comme un corps solide incapable à lui seul de mouvement, est une merveilleuse trouvaille. Qu’il soit passif, aidé par le hasard, ou la révélation à point nommé d’un indice majeur, est une carence dans l’intrigue trop souvent présente. De même pour la magie. Elle est une réalité en ce monde, attestée mais mal connue, voire passée sous silence par les autorités. Choix de l’écrivain, évidemment incontestable. Mais que la magie ne soit qu’un bouche-trou pour combler les faiblesses de l’intrigue est un défaut. Dans un contexte très proche, Randall Garrett, dans son cycle consacré au détective « Lord Darcy », présentait la magie comme une réalité aux lois rigoureuses, comparables à des lois physiques, qui donc faisaient corps avec le monde, les conditions des crimes perpétrés et la résolution des enquêtes. Chez Fabien Clavel, la magie est un outil pour porter le récit ; chez Garrett, elle appartient au récit.

Quelques fautes de syntaxe et répétitions viennent troubler le lecteur, d’autant plus regrettables qu’il s’agit ici d’un pastiche d’écriture, principalement celle de la langue du XIXe siècle, littéraire ou de feuilleton. Plus ennuyeuses sont les erreurs, telle la célèbre danseuse Yvette Guilbert, obstinément ici nommée « Guibert », sans que l’effet soit imputable au prétexte de l’uchronie.

Reste cependant un plaisir de lecture, voire une franche réussite ici ou là : « Tourbillons aux Trois Ponts d’or » est un superbe récit qui mériterait de figurer dans une anthologie sur le paradoxe temporel. Des moments agréables, donc, qui auraient pu être des temps forts. Feuillets de cuivre constitue un passe-temps plaisant, bien au-dessus de l’actuelle production steampunk française, toutefois encore en dessous de ce que Fabien Clavel est en mesure d’écrire.

Xavier MAUMÉJEAN

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