Nancy KRESS
FLEUVE NOIR
384pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89
Futur proche. Quittant une Terre en piètre état, l’Ariel s’élance vers l’une des cinq exoplanètes habitables découvertes par les humains : Forêtverte. À bord du vaisseau, affrété par une compagnie privée, six mille colons en hibernation, issus de diverses obédiences – des néo-quakers pacifistes, une ex-famille royale arabe, un discret contingent chinois, des Cheyennes désireux qu’on les laisse tranquille une fois sur place – mais bien décidés à vivre en harmonie sur ce nouveau monde. Une fois les colons sur place, l’installation se déroule sans mal… jusqu’à ce qu’on découvre la présence d’extraterrestres sur Forêtverte, réparties dans plusieurs villages distants. Première forme d’intelligence extraterrestre jamais découverte, les Velus, tel qu’on les surnomme, se caractérisent par leur apathie ; du moins, pour certains, car d’autres tribus s’avèrent plus agressives, et d’autres encore assez euphoriques. Qui sont-ils ? Pourquoi sont-ils ainsi ? Et d’où viennent-ils ? Car une chose est sûre : ces Velus ne sont pas indigènes, et leur installation sur Forêtverte est récente. Bientôt, c’est un vaisseau extraterrestre qui arrive en vue de l’exoplanète ; au grand étonnement des colons humains, celui-ci transporte des êtres quasi-végétaux – les Tiges –, dont la chimie ne se base pas sur l’ADN. Les Tiges sont en conflit contre les Velus depuis des siècles, mais, dans l’incapacité morale de tuer, ces créatures végétales ont opté pour une autre approche. Et la colonie humaine se retrouve au beau milieu de cette guerre larvée…
Nouvelle incursion de Nancy Kress dans le space opera, Feux croisés débute comme le récit d’une colonisation exoplanétaire auquel vient s’ajouter le thème du premier contact… avant de basculer, à la moitié du livre, dans le registre de la guerre interstellaire, perçue par le petit bout de la lorgnette. Classique (un peu trop, peut-être) mais efficace, d’autant que les relations entre les différentes factions humaines et leurs problématiques sont bien rendues, et que les Tiges et leur végétale culture (ha !) savent surprendre. Le roman n’abandonne pas pour autant les préoccupations favorites de l’auteure – à commencer par les modifications génétiques, tant humaines qu’extraterrestres, et leurs implications morales. En dépit de ses défauts (une intrigue quelque peu bancale, des personnages assez fades, des thématiques parfois survolées), l’histoire reste néanmoins plaisante à suivre, avec son ambiance old school. Il ne s’agit peut-être pas du récit le plus fameux de notre auteure, plus à l’aise sur la distance courte, mais même en mode mineur, Kress sait mener sa barque. Si Feux croisés constitue une histoire finie en soi, notons que la conclusion laisse la porte ouverte à une suite : Crucible (2004, inédit en français).