Vandana SINGH, Jeffrey FORD, Julien BOUVET, Esther M. FRIESNER, Yves MEYNARD, Francine PELLETIER, Jim DEDIEU, Laurent QUEYSSI, Jack CADY, Serge LEHMAN, Allen STEELE, Robert SHECKLEY, Hélène ESCUDIÉ, Mary ROSENBLUM, Jerry OLTION, Francis VALÉRY
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
368pp - 23,00 €
Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43
Voilà donc le numéro 3 de la (nouvelle) revue Fiction, après un numéro 2 excellent si on fait abstraction des traductions des deux meilleures nouvelles de l'opus (Ian R. MacLeod massacré par Sophie Dabat, Paolo Bacigalupi pulvérisé par Noé Gaillard). Un numéro 3, donc, paru en mars, qui arbore une très chouette couverture de Lewis Trondheim et contient, heureusement, que deux textes absolument sans intérêt : « Dans la contemplation » de Julien « Daylon » Bouvet, immature et abscons, évoquant vaguement deux des nouvelles de David Calvo rassemblées dans son recueil plein de coquilles Acide organique (même éditeur) ; « Incident au déjeuner des canotiers » de Allen M. Steele, pochade ambiance « histoire de l'art » même pas marrante à la chute tellement téléphonée qu'elle pourrait être sponsorisée par Orange™ ou le 118 218. On trouvera aussi au sommaire toute une série de textes moyens, car sympas sans plus, dont les cinq petits textes de Jeffrey Ford, cinq longues phrases très pulps, qui n'arrivent pas à la cheville de la moindre des nouvelles de son second recueil The Empire of Ice Cream ; « Navices » de Francine Pelletier et Yves Meynard, certes bien écrit, mais même pas inédit est d'une banalité désespérante (Gene Wolfe en a écrit des dizaines du même tonneau) ; « Magie, marronniers et Maryanne » de Robert Sheckley, une nouvelle tellement apathique qu'elle semble post-mortem (sans parler de la traduction de Sophie Janod, toute pourrie). Le texte de Esther Friesner, lui, entre dans une autre catégorie, celle des nouvelles passionnantes mais ratées ; à noter que cette uchronie datant de 1992 annonçait étonnamment le roman Rihla de Juan Miguel Aguilera (Friesner avait là le sujet d'un bon roman, Aguilera l'a prouvé à sa place, elle en a fait une nouvelle peu satisfaisante ; ça peut arriver à tout le monde). Voilà pour le prout, le bof et le raté.
Reste le meilleur qui, il faut bien le dire, occupe la plus grosse partie de ce Fiction n°3. Tout d'abord Vandana Singh pour une visite fantomatique (et S.F) de « Dehli », un texte très profond qui dresse un portrait hallucinant (il n'y a pas d'autres mots) de l'Inde et répond, sans doute sans le vouloir, au « Calcutta, seigneur des nerfs » de Poppy Z. Brite (in Contes de la fée verte). Viennent ensuite Jim Dedieu et Laurent Queyssi qui réécrivent à la sauce X-files l'épopée des Pixies. Résultat, leur « Planet of sound » oscille entre le très sympathique et le franchement jubilatoire, en tout cas c'est une excellente surprise au moment où sort, chez le même éditeur, le premier roman de Laurent Queyssi Neurotwistin'. Autre formidable texte : « La nuit où ils ont enterré Road Dog » de Jack Cady, une novella typiquement « américaine » que j'avais mise au sommaire de mon anthologie Les Continents perdus, avant de la remplacer quasiment à la dernière minute par « Le train noir » de Lucius Shepard (qui avait plus besoin d'argent que Cady, décédé en 2004) ; on en profitera pour noter la très bonne traduction de Lionel Davoust, qui n'a pas dû s'amuser tous les jours vu la complexité de ce texte qui parle principalement de vieilles guimbardes yankees.
Côté fictions, la revue finit en feu d'artifice, avec un très bon texte de pure SF de Mary Rosenblum (d'ailleurs, je commence à me demander s'il y a des mauvais textes de cette autrice, car tout ce que j'ai lu d'elle jusqu'à ce jour m'a plu et le plus souvent impressionné) et une novella de Jerry Oltion où il est question de fusées Saturn V fantômes et d'un dernier/nouveau alunissage, un texte plein d'émotions, d'une puissante nostalgie, qui, malheureusement, a pas mal souffert à la traduction (Sophie Dabat a encore frappé, et si elle veut persévérer dans la traduction il va falloir qu'elle se mette GRANDEMENT à l'étude de l'anglais et du français).
Pour ce qui est de la non-fiction, la revue nous réserve deux gros morceaux tout simplement passionnants ; un excellent article de Serge Lehman sur Oui-Oui, Nietzsche et la définition de la science-fiction, ainsi qu'une longue (c'est rien de le dire) interview de Ursula K. Le Guin que même un non-LeGuiniste de mon genre ne peut trouver que formidable.
Comme d'habitude, Francis Valéry achève (bang bang, you shot me down) ce numéro avec ses « Carnets rouges ». Tout ce qu'il dit sur la littérature va du passionnant à l'intéressant (y compris quand il écorche mon rewriting d'Un cas de conscience de James Blish). Quant à ce qu'il raconte sur Francis Valéry, sa vie, son œuvre, c'est franchement mois intéressant (même pour ceux qui le connaissent un peu ou plus que cela), mais bon, pour une fois, face à son militantisme, sa mauvaise foi au service de la bonne cause, on ira presque jusqu'à le pardonner.
Ce Fiction est un très bon numéro (un chouia moins percutant que le n°2), mais pitié les gars, de temps en temps publiez un truc qui déménage, qui arrache les portes de leur gonds, où ça gicle un minimum, parce que ce troisième opus c'est « Bergman et Mizoguchi évoquant l'imaginaire lors d'un pique-nique aux huîtres rincées et à la verveine froide » ; à l'époque de Quentin Tarantino, du viagra et de Takashi Miike, tant de contemplation, d'élan moral, de nostalgie et d'amour courtois laisse pantois. Comme chantait l'autre : « j'veux du cuir ». Et plus, si affinités.