Paolo BACIGALUPI, Patrice DUVIC, Pierre PELOT, Frédéric JACCAUD, Léo HENRY, Laurent QUEYSSI, Greg VEZON, Alfred BESTER, Theodore STURGEON, Theodor STORM, Edward Page MITCHELL, Robert Duncan MILNE, Hannes BOK, Yumiko KURAHASHI, David GERROLD, Julie
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
356pp - 23,00 €
Que ce soit en le lisant de la fin vers le début, ou du début vers la fin, rien n'y fait : ce numéro de Fiction (nouvelle série) est très décevant. On passera vite sur le nombre de coquilles et de maladresses de traduction (punks, voyous donc, traduits par punks, par exemple) — scories difficilement supportables et qui semblent désormais être la marque de fabrique de la revue et, plus généralement, de la maison d'édition qui la publie.
C'est Paolo Bacigalupi qui ouvre le bal en nous décrivant une société dans laquelle les gens se régénèrent de temps en temps pour ne pas mourir. Afin d'éviter tout problème de surpopulation, les enfants sont traqués par des brigades d'intervention qui leur explosent la tête d'un coup de Granger (la version bacigalupienne du Royster DiRollien) et les mères hors-la-loi sont emprisonnées. Ce qui aurait pu être le texte le plus fort de ce numéro est un des plus décevants ; contrairement à Thierry Di Rollo, Bacigalupi ne sait pas mettre au diapason fond et forme et gâche sa plus belle trouvaille (le magasin de jouets d'objets de collection). Son héros inconsistant donne un point de vue terriblement convenu sur des événements atroces et le face à face final, « téléphoné », mou du bulbe (pour être poli), est si peu en prise sur ce qu'on appelle parfois « la lave des sentiments » qu'il flanque tout l'édifice par terre… Bacigalupi a écrit au pathos et à l'auto-apitoiement ce qui aurait dû être tracé au scalpel ; dommage, car ce nouvel auteur américain vient de prouver récemment son grand talent avec les nouvelles « The Calorie Man » et « Yellow Card Man ».
Suivent deux petites pochades de Patrice Duvic (écrites old school, presque à la Sheckley). Le texte où l'auteur met en scène un malade du cancer qui teste la thérapie génique m'a serré la gorge tant il est autobiographique.
On passera vite sur les quatre biographies aliénées de Frédéric Jaccaud, bien écrites, mais ne suscitant qu'un ennui poli ; la nouvelle de Léo Henry (même punition, même motif) ; le récit graphique de Daylon (qu'on aurait pu sous-titre « écrire, photographier et mettre en page pour ne rien dire ») ; les vieilleries de Theodor Storm (massacré à la traduction), Edwin Page Mitchell et Robert Duncan Milne ; les sympathiques fonds de tiroir d'Alfred Bester et Theodore Sturgeon ; « Que ça parle de la mer » (quel titre à la con !) de Jeffrey Ford, ennuyeux à mourir ; afin de privilégier plutôt « La Maison du chat noir » de Yumiko Kurahashi, « L'enfant de Mars » de David Gerrold, « Echo » de Elizabeth Hand et « Du thé et des hamsters » de Michael Coney.
Yumiko Kurahashi décrit dans son texte, très court, la fascination d'un couple pour une cassette vidéo témoignant d'une fantastique étreinte amoureuse — étrange zoophilie pour cette jolie nouvelle érotique, marquante, qui évoque l'œuvre de Yôko Ogawa.
On change de continent et de décor avec « L'enfant de Mars » de David Gerrold, son texte le plus connu (vieux d'une dizaine d'années, maintenant), qu'il a ensuite transformé en roman et qui, récemment, a été porté à l'écran avec John Cusack dans le rôle principal (celui du père). Dans cette œuvre aux trois visages, on suit un homme seul (gay ou non, selon la version) qui décide d'adopter un enfant et qui, après un véritable parcours du combattant, se voit confier la garde de Dennis — un garçon de huit ans convaincu d'être un martien. Même si on ignore que cette histoire est tirée d'une histoire vraie (celle de David et Dennis Gerrold), le texte publié dans Fiction fonctionne très bien, faisant vibrer les cordes des sentiments. L'auteur a réussi sur une quarantaine de pages, à l'aide d'une écriture très sobre, à capturer la magie de l'enfance, mais aussi les dégâts souvent irréversibles des maltraitances. Poignant. Une belle réussite.
« Echo » d'Elizabeth Hand se rattache à son cycle de nouvelles situées à Mars Hill ou aux alentours ; il s'agit d'un texte court, contemplatif, une fin du monde qui rappelle The City not long after de Pat Murphy, mais sans en avoir la verve évocatrice. Pour diverses raisons, il m'a semblé que ce texte était une lettre écrite à John Crowley. Les gens dotés d'un mauvais fond jugeront sans doute que c'est « beau et chiant comme un film de Wim Wenders ».
Réjoui à l'idée de lire un texte du trop rare Michael Coney (malheureusement mort trop jeune, en 2005), j'ai été légèrement déçu par « Du thé et des hamsters », colosse aux pieds d'argile, qui s'effondre stupidement quand Madame Masterson, vieille bique dans toute sa splendeur, tombe tête la première dans le puits de la rédemption.
Un numéro très décevant donc, qui semble s'adresser à la génération de lecteurs qui a précédé la mienne. À emprunter… pour lire le texte de David Gerrold.