Sylvie LAINÉ
ACTUSF
496pp - 20,00 €
Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86
Dix ans après Le Miroir aux éperluettes, premier de quatre petits recueils de Sylvie Lainé chez ActuSF (dont certains sont épuisés), l’autrement volumineux Fidèle à ton pas balancé – un bel objet, au passage – constitue peu ou prou une « intégrale raisonnée » des nouvelles de cette auteure rare, sans doute la plus douée dans ce registre de la SF francophone, et qui s’y tient. Ces vingt-six textes, pour la plupart de grande qualité, confirment cette conviction, et il n’y a plus qu’à espérer que ce format saura trouver son public – il le mérite assurément.
En trente ans de carrière (avec une longue pause dans les années 1990), Sylvie Lainé a construit une œuvre multiple mais cohérente, où quelques thèmes de prédilection ressortent particulièrement : l’altérité, la rencontre ou la séparation, la difficulté de la communication, le choix… Des thèmes illustrés avec subtilité par une auteure d’une grande délicatesse, pouvant tout aussi bien s’exprimer dans un registre doucement mélancolique – sans doute celui où elle brille le plus –, ou dans des récits plus « positifs », d’une luminosité déconcertante parfois, mais pertinente en définitive (on peut se montrer plus réservé pour les quelques tentatives « humoristiques »). La nouvelliste excelle en tout cas tout autant à dépeindre des écologies extraterrestres fantasques ou à ramener le propos à la dimension essentielle de l’humain, pour un résultat toujours intelligent.
Pareille somme est forcément un peu inégale – que des textes mineurs (mais jamais mauvais) aient intégré ce volume va de soi. Mais ils sont de peu de poids au final, tant Fidèle à ton pas balancé regorge de merveilles. Parmi les textes figurant déjà dans les quatre recueils originaux, nombreux sont ceux qui gagnent à être relus, et ont conservé toute leur pertinence – notamment des récits amoureux très poignants : par exemple, « Un signe de Setty », où l’autre est une IA extraterrestre venant colorer une réalité virtuelle désespérée ; « L’Opéra de Shaya », le plus long texte de l’auteur (de très loin), somme à la façon d’un planet opera sur la confrontation à l’autre, le choix et le changement ; « Définissez : priorités », où l’altérité, même cachée, est plus que jamais rétive à la communication véritable ; « Les Yeux d’Elsa », plus long, peut-être le plus grand chef-d’œuvre de ce recueil pas avare de très bons textes, où la relation amoureuse entre un homme et un dauphin, traitée avec empathie et subtilité, s’avère authentiquement déchirante, et toujours plus à mesure qu’elle implique passionnément le lecteur ; « La Bulle d’Euze », magnifique et sensible vignette où, littéralement, une simple goutte de SF démontre que les amours frustrées sont parfois les plus belles des amours… On peut d’ailleurs y ajouter, non compilé jusqu’alors, « Toi que j’ai bue en qu’a ter fois », très sensible et juste récit érotique.
Ceci à s’en tenir aux tout meilleurs textes – justifiant à eux seuls la lecture de ce recueil. Mais d’autres récits, très bons à défaut d’être excellents, pourraient être relevés : « Carte blanche », « Le Chemin de la Ren contre », « Grenade au bord du ciel », « Petits arrangements intragalactiques » et son « verso » inédit, etc., dont quelques curiosités, ainsi du « Printemps des papillons »…
Un recueil plus que recommandable, donc – la somme à l’instant T de la plus brillante nouvelliste de la SF francophone.