Difficile de faire abstraction du film — très fidèle — de David Fincher, mais, même pour celui qui a vu et apprécié le film, la lecture de ce livre est un véritable plaisir, un plaisir qui a le goût de la redécouverte. Et un plaisir qui commence fort :
« Pour fabriquer un silencieux, on fore simplement des trous dans le canon de l’arme, des tas de trous. Qui permettent aux gaz de s’échapper et ralentissent la balle à une vitesse inférieure à celle du son. Forez simplement les trous de travers et l’arme vous arrache la main en explosant. » (page 11).
Et c’est là tout l’art de l’auteur qui, avec une phrase forée de travers, aurait pu rater son coup, mais Palahniuk tient la distance et quand arrive la révélation finale, ce premier roman vous arrache la tête.
L’histoire ? Celle d’un expert en assurances qui, d’aéroport en aéroport, mène une vie solitaire, entre un appartement où il entasse des meubles plus à la mode les uns que les autres, et des hôtels où tout est conditionné en « une dose ». Pour pouvoir pleurer, il se mêle, en touriste, à des groupes de cancéreux en stade terminal
et autres condamnés de l’ablation testiculaire. Et voilà qu’un jour, il se trouve au sommet du plus haut immeuble des USA — cent quatre-vingt-onze étages — le cul posé sur une tonne d’explosifs, le canon d’une arme dans la bouche, et au bout de ce canon transformé en silencieux : Tyler Durden, le projectionniste fou qui met des images subliminales de sexe masculin en érection au beau milieu des films de Walt Disney. Ensemble, ils ont inventé les « club la cogne » et mis au point le « projet destruction » qui doit instaurer un nouvel ordre mondial. Rien que ça. Pour tout arranger, ils aiment la même femme : Marla Singer, autre paumée des groupes de soutien. Une touriste au royaume du chaos.
« La première règle du fight club : on ne parle pas du fight club ! »
« La deuxième règle du fight club : on ne parle pas du fight club ! »
Nonobstant une traduction pour le moins surprenante — quelle idée à la con d’appeler en français les fight clubs les « clubs la cogne » —, ce livre est probablement l’un des meilleurs ouvrages publiés en 1999. Jamais roman ne m’avait semblé aussi dickien depuis le Requiem pour Philip K. Dick de Michael Bishop (Denoël, collection « Présences »). Tout y est : réflexion sur la folie, la société de consommation, la paranoïa, la manipulation, le chaos, la maladie, les systèmes politiques extrêmes… Il manque juste la thématique de la drogue, traitée via ce qu’on pourrait appeler la dépendance-IKEA, sorte d’envie incontrôlable d’acheter des meubles suédois. Ce Fight Club, tordu à souhait, qui explore tantôt au scalpel tantôt à l’acide sulfurique la futilité et les chimères de la vie (ultra-)moderne, est une réussite majeure que les bilingues préféreront lire dans la langue d’origine.