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Les critiques de Bifrost

La Guerre de Caliban

James S.A. COREY
ACTES SUD
624pp - 23,90 €

Bifrost n° 108

Critique parue en octobre 2022 dans Bifrost n° 108

Alors que l’ultime tome de « The Expanse », La Chute du Lévia­than, est paru en mai 2022, et que seul le tome 1, L’Éveil du Léviathan, a été chroniqué dans Bifrost (n° 76), il est temps de tirer un bilan général de cette saga, et celui du roman qui la clôture. Le tout sans dévoiler les nombreux changements de cap de l’univers !

Les tomes de « The Expan­se » fonctionnent par duos, exceptés les trois derniers qui forment un tout. En général, le premier des deux romans présente un paradigme (parfois esquissé à la fin du duo précédent), que le second va se charger de démolir pour en mettre en place un autre, radicalement différent. Dans les deux premiers tomes, l’Humanité est confinée au Système solaire, et est divisée entre grandes puissances (Terre et Mars) d’un côté, bases de la Ceinture d’astéroïdes et des satellites des planètes géantes de l’autre. Une corporation a découvert sur un des satellites de Saturne une « protomolécule » d’origine extra­terrestre, qui aurait dû se répandre sur Terre mais qui a été capturée par la gravité de la planète. Son but restant inconnu, la corporation en question organise sa dissémination sur l’astéroïde Éros pour comprendre son utilité et s’approprier cette technologie toute-puissante. Quand la situation devient hors de contrôle, l’Humanité découvre enfin la surprenante mission de cet outil, et les auteurs (Daniel Abraham et Ty Franck se cachent derrière le pseudonyme commun de James S.A. Corey) passeront l’essentiel des tomes 3 et 4 à en explorer les énormes conséquences, notamment sur le plan de la géopolitique du Système solaire. En effet, les rôles de la Ceinture mais aussi de Mars sont redéfinis, et leurs cultures sur le point de changer radicalement – voire de disparaître. Certains refuseront le déclin et auront recours à la sécession, au terrorisme et à la guerre pour retrouver une place dans l’échiquier politique de l’Humanité recomposée. C’est le sujet des tomes 5 et 6.

Dans le tome 7, qui se dé­roule trente ans plus tard, le Système solaire subit un nouveau bouleversement quand il est conquis par une force irrésistible formée d’anciens Martiens dotés d’une technologie avancée. Dans les tomes 8 et 9, lorsque notre espèce tout entière se retrouve menacée de mort par des entités venues d’ailleurs, le chef du nouvel Em­pire Humain veut lui faire subir un changement posthumaniste radi­cal afin de lui permettre de faire face à la menace. Comme à chaque fois, c’est l’équipage du Rossinante qui devra sauver le monde !

« The Expanse » part d’une situation technologique et géopolitique « réaliste » pour aller, au travers des changements de paradigme, toujours plus loin en matière de sense of wonder, jusqu’à culminer dans un spectaculaire feu d’artifice de révélations grandioses dans son ultime opus (sur la nature de la Zone Lente, des bâtisseurs protomoléculaires, etc.). Sa peinture des cultures de la Ceinture et du Système solaire extérieur est remarquable, tout com­me celle des équilibres de pouvoir qui les lient à la Terre et Mars, abordant des thèmes comme le colonialisme, l’exploitation écono­mique des pays en voie de développement, les inégalités, l’intolérance Ceinturiens / Inté­rieurs, le dilemme du recours au terrorisme et à la violence pour faire prévaloir ses idées politiques, etc. Les basculements violents de paradigme, et la façon de s’y adapter, voire d’y survivre, sont au cœur du propos. Ils per­mettent aussi au cycle de se réinventer en permanence, balayant un nombre conséquent de sous-genres ou de thèmes. Et ce tout en conservant tout du long une équipe de personnages hautement attachants, autre grande qualité de la saga, qui sait mettre de l’humain dans la géopolitique, la guerre, l’His­toire en train de s’écrire et le sense of wonder.

Le tome 9 clôt de façon fort digne le cycle, en répondant à toutes les questions qui se posaient jusque-là, en offrant une sortie parfaite à des héros fatigués et en esquissant, dans son épilogue, un ultime changement de paradigme dont on peut regretter qu’il ne sera jamais développé. Véritable traité sur la façon dont les sociétés doivent s’adapter aux changements, même les plus radicaux et improbables, faute de devoir disparaître, excellent contexte futur, assez proche et « réaliste » dans ses deux premiers tomes, pour sans cesse évoluer vers plus de sense of wonder, longue saga mettant en scène l’équi­page d’un vaisseau qui a tout de « héros ordi­naires » mais qui, pourtant, fait l’Histoire, et pas qu’une fois, « The Expanse » s’est indu­bitablement imposé comme un cycle de tout premier plan, quand bien même, à l’évidence, certains tomes pourront paraître plus faibles que d’autres.

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