Terry Pratchett a toujours confessé avoir du mal à rédiger des nouvelles – à l’en croire, elles lui coûtaient « sang et eau », il enviait ceux qui en écrivaient « facilement », et doutait d’en avoir écrit plus de quinze dans sa carrière… Et pourtant si, ainsi que le présent volume en témoigne – d’autant qu’il n’a pas l’ambition de constituer une intégrale (et a notamment procédé à un tri draconien dans les textes de jeunesse, a priori).
On en avait eu un aperçu en 2011 avec Nouvelles du Disque-Monde, très, très bref recueil focalisé sur la saga culte des « Annales », dont les six textes ont été repris ici. L’impression qui s’en dégageait, cependant, n’était guère favorable : on en concluait que Terry Pratchett n’était effectivement pas un nouvelliste… On pouvait en retenir deux nouvelles à proprement parler, « Drame de troll » (chouette récit doux-amer où intervient le nécessaire Cohen le Barbare), et la bien plus longue « La Mer et les petits poissons » (probablement trop longue, d’ailleurs, quand bien même intéressante – la présente édition en montre pourtant en annexe un passage supprimé, à la demande de l’anthologiste, Robert Silverberg ; mais Mémé Ciredutemps brille néanmoins dans ce récit, où elle a la diabolique idée de devenir gentille…) ; le reste faisait figure de gadgets sans grand intérêt…
Fond d’écran est cependant bien davantage qu’une réédition augmentée : le plus grand nombre de textes (on passe de six à trente-deux, composés au long de cinquante ans de carrière – nouvelles et « textes courts », donc – poésies, notices de jeu, brèves allocutions, cadeaux de conventions…), et surtout l’inclusion essentielle de récits ne se rapportant pas au Disque-Monde (200 pages sur 330 environ), changent fondamentalement le projet.
Pour ce qui est du Disque-Monde, on a de nouveaux textes « gadgets », la plupart du temps quelconques… Celui qui s’en sort le mieux est probablement « Thud : contexte historique » (qui vient d’un jeu de plateau construit autour de Jeux de nains) ; pour le reste… On sourit parfois un brin, mais assez rarement somme toute.
Le véritable intérêt est sans doute ailleurs, dans les textes ne concernant en principe pas le Disque-Monde – mais l’annonçant parfois : ici, par exemple, on a un gnome du nom de Rincepresse (même si la nouvelle prépare avant tout Le Peuple du tapis) ; et La Mort, dans « Les Platines de la nuit » (clairement une des meilleures nouvelles de l’ensemble), est exactement semblable à celle du Disque-Monde – jusque dans ses répliques en capitales… On trouve dans cette première partie quelques textes très corrects, oui – loin d’être parfaits, il y a presque toujours un petit quelque chose qui coince, mais régulièrement intéressants. Et si « Les Hauts Mégas » (qui débouchera bien plus tard sur La Longue Terre et ses suites avec Stephen Baxter) est assez confus, rendant l’immersion délicate, on trouve d’autres récits, de science-fiction ou de fantasy, qui se tiennent bien, et dessinent parfois un étonnant univers parallèle où Terry Pratchett n’aurait pas été l’homme du Disque-Monde à défaut du reste – « Ultime Récompense », où un écrivain de fantasy a maille à partir avec le héros barbare de son immense et populaire saga à laquelle il aimerait bien mettre un terme, a beau dater de 1988 (et avoir été potentiellement un brin retouchée depuis, de l’aveu même de l’auteur – qui présente la plupart des textes compilés ici), elle résonne tout particulièrement aujourd’hui…
Enfin – ou plutôt non, au tout début, et c’est une étape à franchir –, le recueil a un aspect « document » assez poussé, notamment en ce qu’il reproduit des textes de jeunesse d’un intérêt littéraire assez douteux, objectivement, mais qui sont autant de témoignages d’un talent émergent ; pour l’essentiel des textes très, très courts, à l’exception du premier, « L’Affaire d’Hadès » (Pratchett avait 13 ans, c’était un texte scolaire), qui est probablement aussi le meilleur (et laisse envisager à terme De bons présages avec Neil Gaiman, à sa manière).
Bref, tout ça n’a absolument rien d’indispensable, mais s’avère bien plus intéressant que l’inutile Nouvelles du Disque-Monde, en ouvrant d’autres horizons sur la carrière de l’auteur. À réserver aux fans, cela dit.