Georges PANCHARD
ROBERT LAFFONT
384pp - 20,00 €
Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38
Vingt ans après Le Jeu du monde de Michel Jeury paraît, enfin, un roman francophone dans la collection « Ailleurs & Demain ». On attendait donc beaucoup de ce Forteresse qui a su répondre aux exigences de Gérard Klein, après avoir été retenu par les défuntes éditions ISF. Et nos attentes ne sont pas déçues.
Dans les années 2030, les multinationales se livrent une guerre sans merci. La tête des plus grands patrons est mise à prix. Brian Mannering, président de la Haviland Corporation, est sans conteste l'un des plus menacés : outre ses concurrents, l'Union des Etats Bibliques Américains a juré sa perte. La Haviland a, en effet, transféré son siège social en Europe, afin de dénoncer la doctrine ultra religieuse des ex-USA. Mannering vit donc réfugié dans une forteresse en Espagne, d'où il ne sort qu'en de très rares occasions. Pourtant, les menaces à son encontre se précisent sous la forme d'une opération dont le nom de code est Ghost. Adrian Clayborne, chef de la sécurité de la Haviland, utilise toutes les ressources à sa disposition pour contrer ce mystérieux fantôme. Son enquête ne lui laisse aucun répit, le mène en Suède, en Californie (désormais république indépendante)… Pourtant, il se peut que le danger soit déjà présent dans la forteresse en la personne de Sherylin Leighton, nouvelle maîtresse du président. Parallèlement à cette intrigue principale, on suit de nombreux autres personnages, et il faudra attendre le dénouement pour comprendre ce qui les relie. C'est l'une des forces du roman : sa construction implacable, qui nous fait aller et venir d'un personnage à l'autre, d'une année à l'autre, jusqu'à la révélation finale, d'une évidence trompeuse.
Forteresse pourrait n'être qu'un thriller haletant (ce qui serait déjà plus qu'honorable). Mais par petites touches, au détour de chaque page, Panchard dresse un portrait de notre futur proche d'autant plus effrayant qu'il est hautement crédible : repli fanatique de la quasi-totalité des USA, guerres de religion en Europe conduisant au massacre des musulmans, batailles économiques dégénérant en règlement de comptes militaires… Certains propos ou pensées des personnages font d'ailleurs froids dans le dos et ne sont surtout pas à prendre au premier degré.
Georges Panchard nous offre, quelques mois après La Horde du contrevent d'Alain Damasio, un autre très bon roman francophone dans le domaine de l'imaginaire. Le premier se démarquait grâce à son écriture éblouissante, le second brille par sa fluidité, les deux ont en commun la description d'un univers parfaitement crédible. Ce qui est plus qu'inquiétant, avec Forteresse, c'est que la société en question sera peut-être la nôtre… pas ailleurs, mais demain.