Connexion

Les critiques de Bifrost

Fournaise

Fournaise

James Patrick KELLY
FOLIO
208pp - 8,90 €

Bifrost n° 46

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Prosper Grégoire Leung — surnommé Spur — vit sur Walden. Ce monde a été acheté par un riche propriétaire qui a décidé d'y installer l'Etat Transcendant fondé sur la « simplicité volontaire ». Tout colon qui désire s'y rendre doit prôner le retour à la terre et l'abandon de toute technologie superflue (restent quand même de nombreux artefacts technologiques bien pratiques tels que matériel hospitalier ou camions). Toutefois, Walden était précédemment peuplée des seuls Pukpuks, qui admettent mal devoir partager leur planète avec de nouveaux arrivants, surtout quand ceux-ci ont une fâcheuse tendance à étendre peu à peu leur zone d'habitation…

Ce court roman — cette novella, en fait — est directement inspirée par la vie et les idées du philosophe transcendantaliste américain Henry David Thoreau (1817-1862), auteur notamment de La Désobéissance civile (1849) et fervent défenseur de la condition humaine. Durant deux ans, entre 1845 et 1847, Thoreau s'isole volontairement du monde pour vivre dans une cabane au bord de l'étang de Walden, d'où le nom de la planète dans le roman de Kelly. Ce dernier se livre ici à une transposition de la pensée de Thoreau dans un cadre science-fictif. Spur et les siens s'isolent ainsi délibérément du monde d'en haut, tout en ayant parfaitement conscience de son existence ; Spur ouvrira néanmoins la boîte de Pandore en contactant l'un des citoyens d'en haut, qui décidera de se rendre sur Walden. La confrontation entre les deux civilisations sera riche d'enseignements pour chacun des camps, même si l'indifférence du monde d'en haut envers la destinée de l'Etat Transcendant confortera Spur dans sa volonté de rester sur son monde. Mais, pour Kelly, l'utopie n'est pas toujours possible, car il existe parfois des désirs incompatibles : ainsi, les Pukpuks voient d'un mauvais œil le reboisement de la planète pourtant cher aux nouveaux colons de Walden… Il n'existe pas de bonheur ultime, d'utopie valable pour tous, et la solution est loin d'être unique. Un constat amer.

Au-delà de son propos, ce livre est tout de même assez étrange. On ne sait pas trop où veut vraiment nous emmener l'auteur, et certains personnages ont des motivations plutôt obscures (ceux d'en haut) ou des réactions bizarres (les amis de Spur acceptent beaucoup trop facilement l'arrivée de ceux d'en haut). De plus, beaucoup de thèmes sont effleurés ; on aurait notamment souhaité connaître plus en détail ces pukpuks, ou les raisons de la présence de si nombreux artefacts technologiques sur une planète censée les réprouver. Cette brièveté de traitement procure le sentiment d'un texte agréable, mais sans véritable relief. À cette époque de gros pavés, Kelly a la bonne idée de nous proposer un texte court ; paradoxalement, il pâtit justement de ce choix, car il n'a pas la possibilité d'approfondir. La transposition de la pensée de Thoreau en S-F était une bonne idée, celle de lui faire prendre la forme d'une novella une moins bonne.

Bruno PARA

Ça vient de paraître

La Maison des Jeux, l'intégrale

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug