Livia LLEWELLYN
DYSTOPIA
256pp - 15,00 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Livia Llewellyn est une autrice américaine peu connue chez elle, inconnue chez nous, ayant publié deux recueils de nouvelles : Engines of Desire (2011) et Furnace (2016), tous deux nommés pour le prix Shirley Jackson qui, depuis 2007, récompense des textes relevant de l’horreur. Les éditions Dystopia publient, à l’initiative d’Anne-Sylvie Homassel qui en a assuré la traduction, Fournaise, version française de Furnace reprenant douze des treize nouvelles originales. Le recueil se complète d’une interview de l’autrice.
La place me manque et je n’irai donc pas par quatre chemins : Fournaise est un chef-d’œuvre du genre. Horrifique, assurément. Les récits qui le composent laisseront des traces dans l’esprit du lecteur, et les images qu’il invoque peupleront ses nuits sans sommeil. New Weird, pleinement. Livia Llewellyn navigue avec aisance sur les eaux sombres et les codes de ce courant littéraire né au tournant du millénaire avec la publication de Perdido Street Station de China Miéville. Lieux et époques cohabitent dans ces pages, de la Révolution française à un futur cyberpunk, en passant par la grande dépression américaine, avec toujours comme objectif avoué de mettre à mal notre santé mentale. Dans chacune des nouvelles, l’étrange s’invite dès les premières lignes, mais l’horreur frappe sans prévenir, puissamment. Le recueil s’ouvre sur « Panopticon », qui est le texte le plus malaisant. À moins que cette entrée en matière ne déplace tant les curseurs de nos attentes que la suite s’impose avec plus d’évidence. Dans son recueil Wounds, Nathan Ballingrud avait brillamment montré que l’esprit humain s’adapte avec une facilité déconcertante à toutes les horreurs. L’épouvante de Livia Llewellyn n’est pas psychologique, elle relève d’une perception du monde. C’est un regard déformé mais précis, monstrueux et lucide. L’autrice consacre moins de mots à ses personnages qu’au monde qui les entoure. Ainsi les descriptions de la nature ou de la ville sont mises au premier plan et les noms de China Miéville (encore) et Jeff VanderMeer s’imposent. Les inspirations sont transparentes et revendiquées, comme dans la nouvelle « Guêpe et serpent », qui réécrit la fable d’Ésope en version cyberpunk, ou le sublime « À toi le droit de commencer », qui reprend le Dracula de Bram Stoker du point de vue des créatures féminines qui l’entourent, donnant une lecture féministe du mythe. C’est un regard féminin que propose l’autrice – tous ses personnages sont des femmes –, le corps et la sexualité sont autant de lieux d’exultation que d’horreur. C’est là une des caractéristiques essentielles de ce recueil.
Enfin, s’il n’est pas à mettre entre toutes les mains en raison de la violence des images qu’il impose, Fournaise se distingue par ses qualités littéraires. Les textes qui le composent sont magnifiquement écrits et magnifiquement traduits. La langue est belle, éminemment poétique, ce qui ne fait que renforcer le malaise face à l’horreur présentée ainsi dans un écrin de diamant.
Un chef-d’œuvre.