Journaliste, scénariste et réalisateur, ancien animateur de La Méthode Scientifique sur France Culture, Nicolas Martin offre avec Fragile/s son premier roman. Non sans s’être auparavant essayé à la nouvelle, notamment dans ces pages avec « Un soir d’orage » (cf. Bifrost n°108).
Dans un futur proche, avec une fertilité en berne et l’extrême-droite au pouvoir en France (et une part importante de l’Europe), le contrôle des naissances devient une priorité politique. D’autant plus qu’une maladie touche un grand nombre d’enfants, surtout les filles : le « syndrome de l’X fragile », qui entraîne des traits physiques reconnaissables et des difficultés cognitives.
Typhaine, bénéficiant d’une place dans un programme test, est enceinte. D’un garçon. Sain. Avec Gauthier, ils sont déjà parents d’une fille de 12 ans. Une fille fragile. Les deux grossesses sont racontées en parallèle, afin de planter le décor. Idéalistes, les parents se sont rencontrés dans un syndicat étudiant. Quand Gauthier commence à travailler pour le ministre de la Justice, ils s’imaginent pouvoir faire de l’entrisme. Que le pouvoir en place ne tiendra pas. Les années passent, et voici donc Typhaine intégrée parmi les 1500 femmes encadrées dans un projet de fécondation eugéniste, projet vital pour le Ministère de la Famille et du Repeuplement. Problème, les enfants issus du programme développent un comportement inquiétant et des capacités cognitives inattendues.
La question de la stérilité et de la démographie est une thématique régulièrement exploitée dans la SF : du Meilleur des mondes (cf. Bifrost n°74) aux Heures rouges, en passant par La Servante écarlate (cf. Bifrost n°39), les exemples ne manquent pas. Le bébé, valeur-refuge des sociétés dystopiques ! L’emprise est une autre des thématiques fortes du livre. Celle de Gauthier sur son épouse, où gaslighting et crédit social se mêlent pour entraver Typhaine ; celle du régime sur le couple, avec ses petites lâchetés du quotidien qui deviennent de grandes compromissions. L’entraide et les réseaux de solidarité viennent équilibrer, tant que faire se peut, la noirceur du tableau peint. Les personnages sont forts, pleins de fêlures mais déterminés à agir pour ce qui leur semble juste. Aux côtés de Typhaine, de nombreuses femmes alimentent l’histoire et forment le cœur de l’intrigue.
L’actualité politique nationale confère un écho particulier au roman. Nicolas Martin ancre son texte dans une réalité de laquelle il ne fait que pousser un peu certains curseurs. Les débats autour de l’IVG ou le « réarmement démographique » prennent ici une tournure coercitive, sans parler de l’extrême-droite au pouvoir. L’une des forces du texte est de nommer frontalement les menaces, et les origines de celles-ci. Un monde où « la fin de l’Histoire » n’est pas synonyme de stabilité, mais de chaos.
Le goût de l’auteur pour le cinéma de genre se fait sentir dans la narration de certains chapitres, présentés sous forme d’enregistrement avec description des sons ambiants. Certaines scènes mériteraient d’être vues — quand il y a un bébé dans l’affaire, la terreur a tendance à vite grimper ! L’évolution du texte ouvre diverses pistes, et c’est l’un des intérêts du roman que de nous emmener dans des développements inattendus, avec parfois des doutes sur la nature même de ce que l’on lit. La volonté de rythme et de tension accouche parfois d’incohérences ou d’explications un rien difficiles à croire — mais rien de rédhibitoire. La résolution reste un peu trop didactique et désincarnée, même si elle permet de fixer la coloration globale de ce texte — que nous nous garderons bien de dévoiler —, mais le final vient corriger l’errance en remettant les personnages au centre.
Une lecture qui mérite le détour. Une plongée dans un futur proche glaçant, aux côtés de femmes combatives, chacune à leur manière et selon leurs moyens, pour affronter un pouvoir total.