Années 80. Alors qu’il s’est exilé en Amérique et souffre d’un désordre mental, Vincent Clain reçoit un appel de sa sœur Alice. Celle-ci le conjure de venir aux funérailles de leur père, le célèbre professeur Clain, sommité scientifique et bras droit de Magnus Maximillian, qui n’est autre que Von Braun. Car dans cette réalité la France l’a récupéré, ce qui a permis à notre nation d’être à la pointe du programme spatial. Las, la Roue de l’Espace, formidable station mise au point sous le mandat du général de Gaulle, menace à tout instant de retomber sur Terre, provoquant une apocalypse radioactive. C’est dans ce contexte que Vincent revient, pour comprendre aussitôt que sa militaire de sœur lui a menti. Leur père est bien vivant et demande à le voir, là-haut, dans l’Orbe.
Avec Françatome, nous retrouvons Johan Heliot, chez Mnémos, et dans un genre qu’il affectionne, l’aimable satire du passé. Le récit est servi par une écriture volontairement désuète. Ainsi, parmi de nombreux exemples (p. 174) : « Les guerriers du Vieux Renard leur infligèrent de sévères corrections au grand dam de l’état-major, ridiculisé. » L’auteur s’avère à nouveau excellent pasticheur, et l’on goûte cette science-fiction « à la papa » comme on le ferait d’une bonne daube recuite au fil du temps, d’un style enrichi par l’expérience.
On remarquera toutefois certaines invraisemblances. Von Braun cache son identité sous un pseudonyme composé de… ses prénoms Magnus et Maximillian. D’autre part, pourquoi les nations ne pulvérisent-elles pas l’Orbe même si cette dernière dispose d’un arsenal défensif ? Ce serait un risque moindre que le désastre mondial annoncé. Enfin, pourquoi, alors que Boissier et Vincent sont en passe de prendre le dessus, l’intervention de ce dernier fait que son ami finit menotté, uniquement pour l’effet dramatique ?
De même pourra-t-on regretter certains longs tunnels narratifs (ainsi, pp. 159 à 162) et un final foutraque avec réalité parallèle, voyage dans le temps, résolution de la menace, le tout en trois pages. Mais le plaisir de lecture est là et certains personnages, comme le colonel Boissier, sont de véritables réussites.
Plus ennuyeuses sont les invraisemblances historiques, que ne justifie aucune divergence. Dans la mesure où la continuité politique est sensiblement la même que dans notre réalité (1945, 1958, 1962 demeurent ainsi des dates phares), la présence de Von Braun en France ne suffit pas à expliquer que le pays déploie un programme spatial de pointe, surtout dans l’état économique et social où il se trouve. Et de toute façon, aucune nation ne disposait des savoirs scientifiques et techniques pour mettre au point la Roue de l’Espace. De même, on n’imagine simplement pas de Gaulle se laisser influencer par le quarteron de généraux qui, dans notre réalité, entreront en dissidence. Son arrogance proverbiale, sa certitude psychorigide ne l’auraient pas permis, et ne l’ont d’ailleurs pas fait. Enfin, on peut s’interroger sur l’opportunité d’une uchronie gaulliste et algérienne après le récent Rêves de gloire de Roland C. Wagner (l’Atalante).
Mais finalement, l’intérêt n’est pas là. Johan Heliot ne se pose pas en donneur de leçon, n’assène aucun message politique. D’ailleurs, l’essentiel de ses critiques sociales portent invariablement sur un passé révolu, désamorcé. Tout au plus, avec humour, revendique-t-il le rôle aimable du chansonnier. Le romancier s’improvise avec bonheur boulevardier. Le héros n’est pas le fils de son père, découvre qu’il n’est pas non plus celui de l’amant de sa mère, et qu’il vient d’un autre monde sans savoir trop de qui il est fils de… On est dans du Feydeau et le passage est savoureux.
Au final, on appréciera le roman comme on regarde une vieille production de l’ORTF, période Buttes-Chaumont. Johan demeure le roi de la farce historique. Souhaitons que, assis sur son trône, il continue de torcher des romans plaisants avec régularité.