Après Johan Heliot, Fabien Clavel est le deuxième auteur français à essuyer les plâtres de la collection « Nouveaux millénaires ». Avec un roman d’aventure digne d’une série B, il convoque sous les auspices de l’Histoire, la Grande, une vision à faire verdir le plus fervent défenseur du nucléaire. Certes, la classification en pur divertissement peut paraître défavorable pour un ouvrage dont l’auteur n’a pas à rougir. Mais, on va le voir, Furor ne se révèle être rien d’autre qu’une distraction plaisante dont les pages — selon la formule consacrée — se tournent toutes seules. Entrons maintenant dans le vif du sujet.
Ce siècle avait neuf ans. L’empire remplaçait la république, déjà Auguste perçait sous Octave… Pourtant, d’irréductibles Germains résistent encore et toujours à l’envahisseur. Trois légions, la fine fleur de Rome, sont envoyées pour les mater et assurer la Pax romana en des terres éloignées de tout, même des dieux civilisés. A leur tête, Varus, gouverneur de la province de Germanie et général expérimenté. Un proche d’Auguste. On connaît la suite…
Attirées dans un guet-apens par Arminius, un barbare ayant trahi son allégeance à Rome, les trois légions sont massacrées dans les bois de Teutobourg. Un désastre vengé par la suite par Germanicus — il y gagnera son surnom — et n’étant pas sans rapport avec l’abandon définitif du projet de grande province de Germanie.
Sur cette trame historique scrupuleusement respectée — les érudits apprécieront —, Fabien Clavel brode un thriller historique saupoudré de SF. En effet, une tension sourde, un sentiment de péril diffus imprègnent les pages de Furor. Immergé au milieu des légionnaires, on suit pas à pas leur marche vers la mort. Entouré par les arbres menaçants, les caliges engluées dans la boue, sous une pluie permanente, on assiste à la débâcle via les points de vue de quatre personnages. Marcus Caelius, centurion dont on apprend dans la postface qu’il s’inspire d’une stèle funéraire, par ailleurs seule source archéologique attestée sur la bataille de Teutoburg, Caius Pontius — futur Pilatus —, tribun issu de l’aristocratie équestre, le vénateur Longinus, et enfin la louve Flavia, unique élément féminin du récit, et accessoirement repos du guerrier, comme ses consœurs prostituées. Avec un regard n’étant pas sans rappeler celui de la série Rome, Fabien Clavel accomplit un impressionnant travail de reconstitution historique, usant de ses connaissances sur les us et coutumes romaines, sur l’organisation de l’armée impériale, sans trop se montrer didactique. Tout au plus peut-on lui reprocher un excès d’emphase.
Là où on se permettra de regimber, c’est sur la composante science-fictive de l’histoire. Clavel procède un peu par la bande, introduisant un élément anachronique — ici, un site de confinement de déchets radioactifs — dans le contexte antique. Problème : pourquoi expédier dans le passé, au cœur de ce qui deviendra plus tard l’une des régions les plus peuplées d’Europe, un site de stockage de déchets ultimes ? Le procédé manque un tantinet de logique. En tout cas, drôle de cadeau à des générations passées dont on sait que nous descendons. Une variante du meurtre du grand-père, peut-être ?
Assimilé au temple d’un dieu germain par les survivants des légions de Varus, ce lieu périlleux devient l’enjeu de toute la seconde partie du roman. Il sert de décor à une intrigue cousue de fil blanc, sous-tendue par un sentiment d’urgence et de danger quelque peu mollasson. Et ce n’est certes pas la pirouette finale, un tantinet parachutée, qui remet en question ce constat désenchanté.
Bref, Furor apparaît bien comme un demi-échec. Roman historique flirtant avec les mythes, il échoue sur son versant science-fictif, finalement assez anecdotique, ne suscitant à aucun moment la sidération escomptée par son argument de départ. Et l’on se surprend à sauter les pages. Déjà qu’elles se tournaient toutes seules…