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Les critiques de Bifrost

Gandahar

(non MENTIONNÉ)
MNÉMOS
868pp - 43,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

En 1969, le premier roman d’Andrevon — Les Hommes-machines contre Gandahar — est l’occasion pour le public francophone de découvrir cette histoire des temps à venir. L’auteur y revient ensuite au fil de sa carrière, à travers de nouveaux textes (publiés en collection jeunesse pour certains), le plus récent en date étant bien sûr l’inédit qui ouvre la présente intégrale. C’est ainsi que le cycle de Gandahar est réuni enfin pour la première fois dans un seul et même objet livresque. On va voir que celui-ci vaut son prix… ainsi que sa masse : pas loin d’un kilo et demi !

Gandahar est composé de textes autonomes, certains assez courts, et l’ensemble constitue un univers très bien caractérisé. En effet, on y trouve avant tout des lieux : si le royaume éponyme est le siège de la majeure partie des intrigues, la planète Tridan qui l’abrite en porte plusieurs autres et leurs relations ne sont pas toujours apaisées. S’y expriment des personnages majeurs : le roman d’ouverture est l’occasion pour le lecteur de les rencontrer tous ou presque à commencer par Sylvin Lanvère — chevalier-servant de la reine Myrne Ambisextra et figure de héros. Ces personnages font l’expérience du passage du temps, y compris par l’intermédiaire des voyages temporels, paradoxes inclus… À travers ces trois dimensions, Gandahar exprime une SF plutôt riche et ce dès sa première itération : rien d’étonnant à ce que René Laloux, cinéaste amateur de contextes science-fictifs exigeants, se soit si tôt intéressé aux Hommes-machines contre Gandahar !

L’objet-livre que nous offre Mnémos se devait d’en montrer la dimension de livre-univers. Force est de constater que l’éditeur a relevé le défi sans défaut. Les textes sont présentés dans l’ordre chronologique interne, dans des versions amendées qui les mettent en cohérence. Gandahar est un projet bientôt vieux de soixante ans : il convenait de vérifier la parfaite intercompréhension du langage tout au long de l’aventure, entre l’Andrevon de 1969 et celui de 2024. Par ailleurs, le volume est enrichi d’une préface de Richard Comballot qui permettra de situer l’œuvre au sein de la carrière d’Andrevon… et d’en comprendre toute la spécificité.

Disons-le avec franchise : Gandahar est une œuvre de SF positiviste, et même optimiste. À l’heure où les « mondes noirs » et autres imaginaires morbides tiennent le haut du pavé, cela en fait un univers atypique et précieux. Andrevon est connu pour savoir conter la cruauté comme le mal, et Gandahar n’en est pas tout à fait dépourvu : cependant, les pires aspects de l’être humain y sont domptés ou défaits. Les citoyens de Gandahar, s’ils ne vivent pas en utopie, sont devenus en quelque sorte adultes par rapport à leurs lointains ancêtres que Sylvin ira rencontrer sur Terre dans « Un quartier de verdure ». Les femmes n’y sont pas soumises aux hommes, l’économie (ou ce qui en tient lieu) y est au service des gens, et surtout chacun s’y intéresse avant tout à créer les conditions du bonheur.

L’optimisme sous-jacent de Gandahar n’est pas sans contradictions : le péril peut venir de voisins moins sages, de cataclysmes naturels ou même du futur… mais dans la plupart des cas, il réside dans les idées néfastes et délétères que les ancêtres des habitants de Tridan ont apportées avec eux de la Terre des origines. Mis en perspective au beau milieu de la flèche du temps qui pointe depuis notre époque actuelle jusqu’au lointain futur des Hommes-machines visité par Sylvin, cet optimisme a une saveur parfois un peu amère — il est suggéré ici ou là que Gandahar est aimable et paisible, mais qu’il ne sera qu’une parenthèse — et cependant toujours douce : le chevalier-servant n’est pas un héros parfait, et c’est ce qui le rend si précieux au fond…

Andrevon a repris le stylo à la faveur de cette intégrale : véritable début du cycle, La Reine de Gandahar précède Cap sur Gandahar bien que ce roman lui soit antérieur de vingt-cinq ans. Il y est question des origines d’Ambisextra et de comment le royaume de Gandahar a pris sa forme définitive. L’exercice de la préquelle est souvent périlleux : comment raconter l’histoire avant qu’elle ait commencé ? Andrevon évite cet écueil en explorant le passé de son personnage le plus énigmatique, celui dont il est évident qu’il est le seul indispensable au récit tout entier, mais dont l’importance n’avait jamais été justifiée jusqu’à présent : avec ce récit, Gandahar trouve sa clé de voûte. L’auteur s’y montre toujours aussi tonique et pertinent : on sent qu’il a pris plaisir à jouer une fois de plus avec sa création.

Que retenir au terme de cette chronique ? L’objet Gandahar mérite l’intérêt du lecteur, d’abord parce qu’il inclut un roman inédit… mais aussi à cause de la performance éditoriale qu’il représente. Il s’adresse en effet tout autant aux néophytes qu’aux explorateurs chevronnés de Gandahar : il permet la (re)découverte d’un univers original et somme toute actuel malgré l’âge vénérable de son premier élément…

 

 

 

Arnaud BRUNET

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