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Les critiques de Bifrost

Gandahar et l'oiseau-monde

Jean-Pierre ANDREVON
HACHETTE JEUNESSE
4,35 €

Critique parue en octobre 1997 dans Bifrost n° 6

Auteur majeur sur la scène de la Science-Fiction française, Jean-Pierre Andrevon publie en 1969 son premier roman : Les hommes-machines contre Gandahar.

Un livre curieux et inclassable : un soupçon space opera rigolo, un rien time opera farfelu, un zeste Fantasy humoristique… Devenue un long métrage d'animation en 1988, réalisé par René Laloux sur des dessins de Caza, la première aventure du Chevalier Sylvin Lanvère connaît, presque trente ans plus tard, une suite romanesque inattendue. L'ancien vainqueur du Métamorphe reprend du service dans Gandahar et l'oiseau-monde, un court roman destiné à un lectorat « à partir de 11 ans » (précision fournie par l'éditeur).

Le synopsis original de ce second volet a été rédigé peu après la parution du premier. Faute de temps, ce projet de suite immédiate s'est retrouvé enterré dans un tiroir. C'est en cherchant un sujet pour un livre de S-F jeunesse (à la demande de Denis Guiot), qu'Andrevon a eut l'idée de ressortir son synopsis de ses archives et de l'adapter pour un lectorat juvénile.

Gandahar et l'oiseau-monde est un très bon livre de Science-Fiction Jeunesse. Servi par une écriture fluide et précise, construit autour d'un synopsis rapide et sans temps mort mais non précipité pour autant, Gandahar et l'oiseau-monde est une manière de feu d'artifice linguistique : rarement une oeuvre de Science-Fiction n'aura véhiculé autant de néologismes des mieux venus et souvent très drôles. Autre point fort du livre : contrairement à la plupart des ouvrages de S-F Jeunesse, un lecteur adulte ne devinera pas toute l'histoire dès les quinze premières pages. Les rebondissements sont nombreux, les trouvailles ne manquent pas (telle la justification de la modification du climat de la planète), et la chute est réellement inattendue — notons que ce roman avait été annoncé sous un autre titre (repris d'ailleurs dans la bibliographie insérée dans Le parking mystérieux, l'autre actualité d'Andrevon dans le domaine de la S-F jeunesse, mais cette fois chez Magnard) qui « vendait la mèche » : bonne idée de l'avoir modifié avant parution.

Un constat et un reproche toutefois. Une des forces de la littérature de Science-Fiction est sa capacité à faire accepter aux lecteurs une idée aussi farfelue et « impossible » que celle proposée par l'auteur quant à la nature de la planète Gandahar : bel exemple de ce que j'ai l'habitude de nommer la « mise entre parenthèses de l'incrédulité », en référence à ce que les anglo-saxons nomment « suspension of disbelief ». Ce qui ne signifie pas qu'un lecteur de S-F soit prêt, pour autant, à gober n'importe quoi. Tridan est une ancienne colonie de peuplement humain, l'histoire contée par Andrevon se passe plusieurs millénaires après la colonisation et l'abandon de la technologie. Or, devinez quoi ? D'abord, sachez que les colonisateurs du futur stockeront les informations sous forme d'images de synthèse sur… des disquettes absolument semblables à celles que vous utilisez aujourd'hui ! Le lecteur le mieux disposé aura tout de même tendance à s'étonner de cette sorte de « décalage technologique ». Ensuite, c'est en retrouvant une de ces disquettes, vieille de quelques milliers d'années, et en bidouillant un vieux lecteur, que sera découverte la solution de l'énigme. Quant on sait que la durée de vie d'un support magnétique genre disquette est au mieux de l'ordre de quelques dizaines d'années…

Un détail, me direz-vous ?

Certainement pas ! C'est lorsque les détails de la vie quotidienne « sonnent vrais » que l'on peut faire passer — c'est-à-dire rendre acceptable à défaut de crédibiliser — une idée extrême, un élément fondateur inattendu, dans la Science-Fiction la plus échevelée, la plus fantaisiste, la plus futuriste… En auteur chevronné, Jean-Pierre Andrevon ne peut ignorer cela — d'autant qu'il suffisait de remplacer le mot « disquette » par une expression bien science-fictive du genre « cristal-mémoire », et tout aurait continué d'aller pour le mieux sur le meilleur des mondes possibles. En éditeur non moins chevronné, on s'étonnera que Denis Guiot ait laissé passer ce qui, à mes yeux, est une faute en regard de l'esthétique du genre.

Cela étant, cette scorie n'enlève rien à la réussite qu'est ce roman. Avec Gandahar et l'oiseau-monde, Andrevon signe une bien belle oeuvre de « light fantasy » pour jeunes lecteurs — les moins jeunes y trouveront aussi leur compte, en particulier les nostalgiques des séries de bande dessinée d'autrefois, comme Olivier Rameau.

Francis VALÉRY

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