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Les critiques de Bifrost

Genocidal organ

Genocidal organ

Project ITOH
PIKA
320pp -

Bifrost n° 96

Critique parue en octobre 2019 dans Bifrost n° 96

Si la science-fiction est omniprésente dans les mangas et animes, la SF littéraire japonaise ne s’exporte pas vraiment. Rares sont les auteurs dont plusieurs œuvres ont été traduites en français (Yasutaka Tsutsui ?). Mais, après le très intéressant Harmonie, il y a quelques années, c’est Genocidal Organ, le premier roman de Project Itoh, auteur prometteur hélas décédé prématurément, qui a droit aujourd’hui à une traduction française – chez Pika, éditeur surtout connu pour publier des mangas (et qui en a d’ailleurs sorti parallèlement l’adaptation BD, re-hélas, au mieux médiocre).

Dans le futur qui sert de cadre au roman, le traumatisme du 11 Septembre a été accentué par un autre attentat de masse : une bombe nucléaire artisanale qui a anéanti Sarajevo. Afin de prévenir ces massacres, les pays développés se sont transformés en sociétés de surveillance, où tout est traçable.

Seulement, des massacres, il y en a d’autres – ailleurs, dans les pays en voie de développement : le XXIe siècle a vu une recrudescence des conflits ethniques, et on ne compte plus les génocides, qui ne constituent guère qu’un bruit de fond pour les Occidentaux.

Qui interviennent pourtant dans ces guerres, déléguant beaucoup à des sociétés militaires privées – mais dans l’ombre, des commandos sont à l’œuvre. Ainsi de l’équipe emmenée par Clavis Shepherd, notre narrateur : ses supérieurs dans les services de renseignement américains lui désignent des cibles coupables de crimes de génocide, à charge pour lui de les éliminer – on peut tourner les choses comme on veut, c’est un assassin.

Bien sûr, en tant que soldat américain, il fait partie des « gentils », et les cibles qu’on lui désigne sont des « méchants », des monstres avec du sang sur les mains. Et pourtant, depuis le décès de sa mère, dont il se sent responsable, Clavis commence à douter…

Et son tourment s’accentue quand on lui ordonne d’éliminer un citoyen américain, John Paul – un bonhomme insaisissable, mais qui semble toujours être dans le coin quand éclate un conflit génocidaire. Serait-il responsable de cette épidémie de massacres de par le monde ? Mais comment un homme seul aurait-il un tel pouvoir ? Enfin, Clavis, le tueur psychologiquement et chimiquement modelé pour ne pas hésiter à abattre un enfant soldat, est-il seulement en mesure de « juger » cet homme ?

Genocidal Organ est un roman riche, au sujet fascinant et terrifiant, et à la narration prenante. Il développe nombre de bonnes idées de SF, de la linguistique à la technologie militaire de pointe. Le roman ne manque pas d’images fortes, et le constat des génocides, dès les terribles premières pages, produit des séquences atroces qui nouent le ventre. Le personnage de Clavis Shepherd est plus complexe qu’il n’en a l’air : un jeune homme intelligent et cultivé, qui en impose et qui pourtant doute.

Ce qui ne signifie pas que le récit soit exempt de défauts : il tend à se montrer pontifiant, surtout – et parfois de manière naïve, cocktail fâcheux (l’effet est sans doute rendu plus sensible par une traduction qu’on qualifiera de « perfectible »). Son caractère très référentiel pourra aussi irriter, encore qu’on appréciera le tour de force d’avoir rendu les Monty Python sinistres…

Ces défauts sont regrettables, mais Genocidal Organ demeure un bon roman, prenant et fascinant. On a toutes les raisons de se féliciter de cette traduction – et déplorer que l’auteur ait eu une vie et une carrière aussi courtes.

Bertrand BONNET

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