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Les critiques de Bifrost

Gentleman Junkie et autres nouvelles de la Génération Baillonnée

Harlan ELLISON
Les HUMANOIDES ASSOCIÉS

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Deuxième recueil de l’auteur en langue anglaise après A Touch of Infinity (1960), ce Gentleman Junkie mettra près de vingt ans à être traduit dans la fa­meuse tétralogie des Huma­noïdes Associés consacrée aux nouvelles de Harlan Ellison. Pourquoi ? Nous hasarderons une hypothèse qui en vaut d’autres : le présent recueil ne propose que des nouvelles de littérature mainstream, aucune d’entre elles ne s’apparente à l’Imaginaire. Attendez ! Ne partez pas ! Car, quel que soit le genre (ou l’absence de) dans lequel œuvre l’auteur, on reconnaît la patte de Harlan Ellison dans sa façon de prendre à bras-le-corps, sans concession, les thématiques qu’il aborde, avec une écriture visuelle, inventive, d’une force de suggestion à nulle autre pareille. Quand Ellison écrit, c’est comme un combat de boxe dont le lecteur, au mieux joue le rôle d’arbitre, mais se re­trouve parfois en face des gants de l’auteur. Ici, l’écrivain s’attache à retranscrire des scènes de vie de la génération bâillonnée du sous-titre, soit les laissés-pour-compte de la société, qu’il s’agisse de ratés, de drogués et de dealers, de chauffeurs routiers désœu­vrés ou encore de personnes de couleur — Ellison prend plus de liberté avec les termes — qui, brimés au quotidien, tentent de s’émanciper sans réellement y parvenir tant la chape de plomb est pesante. Il y décrit un monde d’une laideur et d’une noirceur in­sondables, que traversent les élans de sarcasme propres à Ellison, un monde dans lequel on n’aimerait pas vivre mais qu’il faut pourtant bien se ré­soudre à admettre qu’il s’agit du nôtre (enfin, celui des États-Unis de l’épo­que, ce qui n’est pas tout à fait la même chose). Les protagonistes tentent pour certains de le renverser et d’instaurer un monde plus juste, mais la plupart oscillent entre la renonciation et l’acceptation par le biais du profit qu’ils peuvent tirer d’une telle situation. Avec une économie de moyens impres­sionnante pour des textes publiés entre 1956 et 1961, Ellison, qui avait donc moins de 27 ans lors de leur écriture, nous rend parfaitement claires les motivations de ses protagonistes, et nous fait partager leur existence comme si nous habitions dans l’appartement d’à côté. On ne sort pas in­demne d’une telle lecture, qui vous prend aux tripes pour ne plus les lâcher, et vous hante durablement.

Ce recueil, adoubé par l’autrice Dorothy Parker, à laquelle Ellison rend hommage dans sa préface, tant l’autrice exerça une influence importante sur son développement d’écrivain, porte ainsi en germe beaucoup des caractéristiques de ce qu’il allait s’attacher à développer par la suite, jusqu’à devenir le monstre de la littérature de science-fiction que l’on connaît. Pas d’Imaginaire dans ce livre ? Et alors ?

 

 

 

Bruno PARA

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